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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


Lire Saint-John Perse en classe de FLE, dialogue des cultures interprétatives et expérience universelle de la poésie

Pernet-Liu Agnès
Université de Pékin (Chine)

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012

Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Citation - Téléchargement

La littérature contribue à rendre la didactique en classe de langues interculturelle parce qu’un même texte donne lieu à une pluralité d’interprétations qui proviennent de cultures interprétatives différentes. La didactique interculturelle franchit les frontières herméneutiques et atteste ainsi qu’une expérience universelle de la littérature se construit à partir de la connaissance des cultures. Le contexte analysé ici est celui de la culture chinoise et de son rapport à la poésie, avec l’exemple de la lecture d’un poème d’Anabase de Saint-John Perse en classe de Français langue étrangère à l’université en Chine.

Literature contributes to making language Didactics more intercultural, because the same text gives rise to a wide range of interpretations, which come from different interpretative cultures. Thus intercultural Didactics crosses hermeneutic boundaries and testifies that a universal experience of literature is built from knowledge of cultures. This paper analyzes the cultural context of China and its relationship with poetry, with a focus on the reading of a poem from Anabase by Saint-John Perse, in French as a foreign language classroom at the Chinese university. 


    ●    Introduction

    ●    1 – Une pluralité d’interprétation du texte poétique.

    ●        1.1 - L’écrivain passeur de cultures

    ●        1.2 - Le poème comme musique

    ●        1.3 - Ce que raconte le poème

    ●        1.4 - L’attention des commentateurs sur les registres épiques et lyriques

    ●        1.5 - L’interprétation allégorique et symbolique du poème

    ●    2 – La poésie comme expérience culturelle et expérience universelle

    ●        2.1 - Les étudiants chinois et la poésie

    ●        2.2 - La poésie dans la culture chinoise

    ●    Conclusion



Introduction

La lecture des textes littéraires en classe de français a suscité une réflexion didactique intense dans le champ du français langue maternelle (Daunay, 2007 ; Bishop et Butlen, 2010) mais c’est la didactique des langues qui, face au choix d’enseigner la littérature ou à partir de la littérature (Albert et Souchon, 2000 ; Riquois, 2010), a poussé plus loin la réflexion sur la spécificité d’un objectif culturel et interculturel dans l’enseignement/apprentissage, avec l’exigence de ne pas réduire la littérature à sa thématique, ni l’instrumentaliser comme document ethnographique.


La littérature est une expérience de liberté dans l’écriture et la lecture. Les voies d’interprétation d’un même texte sont variées. Elles tiennent à des perceptions et conceptions littéraires qui diffèrent entre les cultures mais aussi au sein même des cultures, et qui forgent, selon les époques, des courants critiques, des traditions de lecture, des habitudes d’analyse qui peuvent aussi se diffuser transversalement d’une culture à une autre. Cependant des limites séparent parfois ces cultures interprétatives, l’une des plus célèbres de ces frontières herméneutiques, dans le contexte français, est celle qui, dans les années 70, a coupé de l’enseignement traditionnel et humaniste de la littérature les nouveaux courants didactiques et critiques qui émergent à ce moment-là, éclairés notamment par le structuralisme (Daunay, 2007).


Je voudrais montrer ici qu’en sollicitant diverses traditions littéraires pour lire un texte, en plaçant et déplaçant les accents dont elles sont porteuses, l’enseignement réalise et fait vivre aux apprenants de langues un passage entre les cultures, cultures interprétatives et cultures nationales avec leurs traditions de lecture. Cela contribue à construire une didactique interculturelle de la littérature en classe de langues.


Je m’appuierai sur l’exemple de la lecture d’un poème de Saint-John Perse en classe de Français langue étrangère avec des étudiants chinois de première année de Master d’une université chinoise. Ce poème est la Chanson liminaire d’Anabase, publiée sous le titre de Poème dans la NRF en 1922 puis reprise avec ce titre Chanson dans le volume de 1924.[1] J’analyserai, dans l’expérience didactique de lecture et d’interaction avec les étudiants, l’émergence de plusieurs approches possibles du poème qui font de cet enseignement une formation interculturelle. Je montrerai qu’elle permet aux étudiants chinois de passer, par l’apprentissage de la langue, de leur propre tradition littéraire à d’autres cultures interprétatives.


Chanson
Il naissait un poulain sous les feuilles de bronze. Un homme mit des baies amères dans nos mains. Étranger. Qui passait. Et voici qu’il est bruit d’autres provinces à mon gré... « Je vous salue, ma fille, sous le plus grand des arbres de l’année. »
Car le soleil entre au Lion et l’Étranger a mis son doigt dans la bouche des morts. Étranger. Qui riait. Et nous parle d’une herbe. Ah! tant de souffles aux provinces ! Qu’il est d’aisance dans nos voies ! que la trompette m’est délice et la plume savante au scandale de l’aile !... « Mon âme, grande fille, vous aviez vos façons qui ne sont pas les nôtres. »
Il naquit un poulain sous les feuilles de bronze. Un homme mit ces baies amères dans nos mains. Étranger. Qui passait. Et voici d’un grand bruit dans un arbre de bronze. Bitume et roses, don du chant ! Tonnerre et flûtes dans les chambres ! Ah ! tant d’aisance dans nos voies, ah ! tant d’histoires à l’année, et l’Étranger à ses façons par les chemins de toute la terre !... « Je vous salue, ma fille, sous la plus belle robe de l’année. »



1 – Une pluralité d’interprétation du texte poétique

1.1 L’écrivain passeur de cultures

La poésie est aujourd’hui le genre littéraire le plus proposé dans les manuels de Français langue étrangère au niveau débutant (Riquoi, 2010). Mais la poésie de Saint-John Perse est unanimement qualifiée de difficile par ses commentateurs. Ainsi C. Camelin (2006) envisage qu’elle pourra « déconcerter » des étudiants de lettres en France préparant l’agrégation. De surcroît, P. Van Rutten (1977, p.12) voit dans Anabase l’oeuvre « la plus difficile » de Saint-John Perse. Cela ne devrait-il pas dissuader de l’aborder avec des étudiants chinois, même de niveau C1 ?


Un premier parti pris didactique, particulièrement en poésie (Martin, 2010), consiste à partir de l’émotion du lecteur, de son plaisir et de la dimension passionnelle de sa découverte. Sa lecture est d’abord une certaine manière d’être affecté et d’avoir son imagination stimulée (Gabathuler et Schneuwly, 2014). Or les étudiants en classe donnent un retour très négatif sur un texte jugé incompréhensible et ils sont découragés d’apprendre que même un lecteur avec un excellent niveau de langue trouve le poème obscur.


Dans les habitudes d’apprentissage en Chine, les apprenants attendent de faire une lecture intensive[2], c’est-à-dire de tout comprendre. L’approche est légitime car le contrat didactique implique de chercher à réduire l’incompréhensible par l’explication. Mais il est intéressant aussi d’opérer un premier déplacement en s’adressant à eux comme à des spécialistes de langues, sensibles à la question de la compréhension et du compréhensible, et qui sont appelés, en particulier les futurs traducteurs, à s’interroger sur l’intraduisible. Ainsi orientés, ils sont prompts à s’exprimer sur leur conception de la poésie comme ineffable, sur la relation entre le mystère et la beauté. Des conceptions personnelles qui sont aussi des conceptions partagées au sein de la tradition littéraire chinoise. Dans la poésie chinoise (Che, 2011) prévaut la retenue (hanxu), l’art de suggérer de manière non explicite, au lecteur d’entendre ce qui n’est pas exprimé (yiwaizhyin, xianwaizhiyin).


Pour ne pas clore le poème sur son hermétisme, une clé didactique d’approche de cette relation particulière entre l’explication et l’inexplicable est fournie par le nom du poète. Saint-John Perse est l’un des pseudonymes d’Alexis Léger, utilisé pour la première fois avec la publication d’Anabase et qui s’impose ensuite. Saint-John Perse s’est expliqué sur le choix d’un nom de plume (distinguer ses activités diplomatiques et littéraires). L’usage d’un pseudonyme littéraire est courant dans la littérature chinoise et les Chinois ont l’habitude de se choisir un prénom étranger s’ils sont en contact avec une culture étrangère. C’est le cas des étudiants de langues. Quelles sont les raisons de leurs choix ? Sont-ils prêts à lever la part de mystère de ce choix ? En quoi se donner un nom est-il déjà un exercice de création littéraire... ? Ainsi impliqué, l’étudiant n’est plus spectateur de la langue en travail dans l’activité littéraire observée chez autrui, il se reconnaît lui-même comme déjà oeuvrant en littérature étrangère, auteur d’un choix langagier inédit.


L’expérience montre que cette approche du mystère du nom, donc de l’identité, fait consentir au mystère du texte et forge chez les étudiants une disposition d’écoute qu’il est possible de consolider par d’autres éléments de critique externe, à condition d’assumer ici ce choix didactique d’introduire, entre le sujet lecteur et le texte, des éléments hors-texte : Anabase a connu un accueil enthousiaste auprès des écrivains de son époque et est toujours activement lu aujourd’hui.[3] Cette indication peut produire son effet sur la motivation des étudiants, et plus encore l’indication suivante destinée tout particulièrement à ce public : Saint-John Perse (1887-1975) a été en poste diplomatique à Pékin de 1916 à 1921. Anabase a été rédigé dans un temple taoïste des environs de Pékin.[4] Les étudiants chinois ne sont pas indifférents à l’intérêt pour la Chine d’une génération de voyageurs français du début du XXème siècle, au titre de la diplomatie ou de la science (Claudel, Segalen ou Teilhard de Chardin), et dont les oeuvres ont été marquées par ce contact avec l’Orient. De plus, Anabase a connu un grand nombre de traductions (notice des Oeuvres complètes, 1972, p.1104). Le choix de ce poème de Saint-John Perse est donc travaillé par une préoccupation de la didactique interculturelle qui repère certains écrivains comme des passants d’une langue et d’une culture à l’autre, pouvant devenir pour leurs lecteurs des passeurs de cultures.



1.2 - Le poème comme musique

Après cette première étape qui embarque le lecteur en le munissant de dispositions favorables, la découverte du poème se poursuit par une autre expérience qui repose sur la conception de la poésie comme musique, comme voix (Martin, 2010). Le poème, avant de livrer son sens, se découvre par son rythme, si admiré par la critique persienne. Les étudiants en font l’expérience lorsque la lecture (par l’enseignant) fait entendre la syllabe normalement muette de certains mots et ainsi les alexandrins[5] en vers blanc, et à partir de là porte l’attention sur des effets de régularité et d’irrégularité : par exemple, les deux premiers alexandrins sont suivis de deux phrases de trois syllabes, comme un hexamètre brisé par le silence du point. Là il est fait appel éventuellement aux connaissances d’histoire littéraire ou elles sont apportées en étayage : le poème s’inscrit dans une histoire de l’écriture poétique en France qui, à partir du XIXe siècle, explore des formes libres avec le poème en prose notamment, dans un jeu possible d’emprunt à des formes traditionnelles. Cette incursion dans l’histoire littéraire est un repère pour les étudiants chinois qui ont lu au lycée les grands auteurs du XIXe siècle français présentés selon des courants littéraires.


La musicalité du poème tient, d’autre part, à une écriture en « thème et variations » où les éléments, en phrasés musicaux, s’entrecroisent, se combinent et se recombinent avec des effets de rappel, d’enchevêtrement.[6] Tout cela s’observe aisément et surtout s’entend à l’oreille avant toute approche du sens. Parmi ces nombreuses reprises qui font la musique persienne, l’une joue le rôle d’un refrain (nécessaire dans une « chanson ») donnant le thème : « Il naissait un poulain sous les feuilles de bronze. Un homme mit des baies amères dans nos mains. Étranger. Qui passait. Et voici... » avec l’imparfait de « naître » qui devient passé simple. S’y arrêter permet de réfléchir à la grammaire en contexte et à l’effet produit : alors qu’on attendrait un passé simple pour le récit de l’événement de la naissance, l’imparfait du début donne un aspect intemporel, un peu vague, l’évocation poétique se mêle à la trame d’une histoire.



1.3 - Ce que raconte le poème

Chercheurs de sens, les étudiants essaient d’entrer dans le poème par sa trame narrative car ils ressentent qu’une histoire se raconte. Cependant, même si le dixième poème d’Anabase fait bien apparaître la figure du « Conteur »,[7] l’exploration de cette piste narrative ou situationnelle est un parti-pris interprétatif. A. Bosquet, par exemple, considère qu’« Anabase ne raconte rien » (Bosquet, 1990, p.37). L’intuition et le besoin d’une trame narrative sont dus au fait que les reprises contribuent à donner au texte sa cohésion, en particulier par les anaphores démonstratives (« des baies », « ces baies »), et assurent la progression linéaire du texte : ainsi « Etranger. Qui passait » devient dans la 2ème strophe « Etranger. Qui riait », puis « Etranger. Qui passait » dans la 3ème strophe, comme si l’Etranger avait marqué un temps puis continué sa route.


D’autres éléments narratifs sont repérables facilement, en particulier les personnages. Il y a d’abord « un poulain », puis « un homme », qui est « étranger », ensuite il y a « nous », puis le « je » de l’énonciateur, enfin il y a cette « fille », à qui s’adressent les trois répliques. Les verbes sont nombreux pour décrire leurs actions, mais les temps s’entremêlent (présent et passé) donnant à la fois la sensation du souvenir et d’une scène rejouée sans qu’on sache encore bien, à ce stade de l’explication, de quelle scène il s’agit.


Pourquoi un poulain ? L’imagination des étudiants les emmène du côté du monde de la nature et de l’enfance, des lieux communs qui contribuent aussi au sens du poème. La critique externe peut les renseigner sur l’importance du cheval dans la vie de Saint-John Perse et dans la thématique persienne. Ce poulain naît « sous les feuilles de bronze ». « Bronze » pour la couleur ou comme une statue ou pour guider vers l’arbre qui apparaît dans la dernière phrase du paragraphe : « Je vous salue, ma fille, sous le plus grand des arbres de l’année » ? L’interprétation est faite d’indécidable. En passant sur le plan de la critique génétique, ce « je vous salue, ma fille » devient une allusion à l’Annonciation (de même dans Exil), emprunts, parmi d’autres nombreux, à l’univers biblique. C’est aussi une référence implicite à L’Annonce faite à Marie de Claudel. Cette intertextualité fait appel à une culture savante qui semble d’abord un pur jeu intellectuel d’allusions pour initiés. Or les étudiants chinois expriment une certaine curiosité d’être introduits dans cet univers de références.


Une scène commence à prendre forme dans l’imagination du lecteur. La naissance du poulain a des témoins, « un homme » et « nous », reliés à l’arbre de la naissance par les « baies », peut-être fruits de l’arbre. Le vers « un homme mit des baies amères dans nos mains » suggère subtilement que le « nous » désigne des enfants : ils semblent trop petits pour atteindre les baies, l’adulte les aide, les baies sont amères, ils les ont donc goûtées, attitude de l’enfant encore. Le « nous » implique l’énonciateur du poème qui semble ainsi se rémémorer (importance du va-et-vient déjà signalé entre les temps du présent et du passé) une expérience de l’enfance dont il a encore gardé la sensation. L’événement de la naissance s’efface devant l’événement de la rencontre avec cet homme. Le silence entendu musicalement entre « Etranger. » et « Qui passait. » et suggérant un effet de surprise dans le regard qui observe l’Etranger passer, est bientôt suivi d’une reprise de la parole (« Et voici que »), ou plutôt du « bruit ».


Avec ce mot « bruit », la syntaxe est perturbée et donne lieu à des constructions singulières.[8] En observant ces élisions, les étudiants prennent la mesure d’une écriture poétique qui joue d’un écart avec le langage ordinaire et la norme apprise (révisée au passage) et commencent à percevoir que l’effet d’obscurité ressenti à la lecture s’explique en partie par cette concision. Or la concision est aussi une caractéristique fondamentale de l’écriture poétique chinoise, qui suppose une reconstitution par le lecteur des éléments manquants.


Ce travail sur le syntaxe, comme précédemment sur la valeur des temps du passé en français, permet bien de lier le travail sur le texte littéraire avec l’acquisition linguistique en contexte. Le texte littéraire, loin d’être un prétexte, permet tout particulièrement de faire le lien entre la forme et le sens (Albert et Souchon, 2000, p.9 ; sur l’équilibre entre acquisition de la langue et lecture de la poésie en didactique du FLE en Chine, voir Bao, 2012).



1.4 - L’attention des commentateurs sur les registres épiques et lyriques

La suite du poème concentre l’attention sur l’Etranger. Si l’on relève la connotation d’Ancien Régime du mot « province », l’étranger devient un colporteur ou bien c’est un messager surnaturel ou bien c’est la figure du poète errant, éternel voyageur (thème important chez Saint-John Perse). L’Etranger semble un personnage déconcertant, avec un pouvoir mystérieux, il est là pour la naissance et la mort, il pratique des rituels qui paraissent sortis de la Grèce antique (son geste pourrait être celui de glisser une pièce dans la bouche des morts pour l’obole à Charon au passage du Styx), ce geste semble accompli comme un signe de puissance, ce que souligne le parallèle avec le soleil pénétrant.[9] L’Etranger est un peu sorcier (« une herbe » sous-entend « magique »). L’enfant s’en souvient comme de la lumière matinale et le rire de l’homme suscite la jubilation de l’enfant et de l’énonciateur du poème. Le registre devient alors épique[10] mais l’épopée coexiste avec le lyrisme. C’est un lieu commun interprétatif de ce poème et les critiques tendent à pencher pour l’un ou l’autre registre (Van Rutten, 1977, p.12). Il faut introduire ce métalangage des registres littéraires sur la base des choix faits par le poète.[11]


Pour faire jaillir toutes ces trouvailles interprétatives, savoureuses autant que discutables, un certain doigté dans le questionnement est nécessaire mais aussi une disposition des étudiants à entrer dans un jeu interprétatif qui décrypte l’allusion, la connotation et l’évocation. Certaines classes s’adonnent à ce jeu, d’autres rallient après coup des interprétations qui leur viennent d’ailleurs ou bien restent silencieuses. Il est difficile de décider théoriquement lesquelles sont des classes « heureuses », car l’expérience du silence en poésie est créative.



1.5 - L’interprétation allégorique et symbolique du poème

En effet, si le silence des étudiants accompagne souvent la dernière étape de la lecture, il est aussi le signe de leur accueil d’une nouvelle interprétation, celle d’une approche allégorique et symbolique qui lit cette Chanson comme la représentation de la création poétique. Le poème évoque en premier lieu la naissance et ouvre Anabase comme une enluminure. A la manière du Logos créateur (évoqué par l’intertextualité), il réalise ce qu’il dit, il parle d’un commencement et est le commencement de la phrase qui commence le poème qui commence Anabase. Ce qui fait écrire à A. Bosquet (1990, p.27) : « Anabase ou la rencontre du poème et de sa genèse ». Le poème est une expérience esthétique qui révèle ce qu’est l’expérience esthétique : le « poète » (il sera nommé ainsi dans la dernière chanson d’Anabase) accueille l’ange qui vient avec le « souffle », l’inspiration offerte à l’ « âme » (nouvelle appellation de la mère de la 1ère strophe) enfantant l’oeuvre. « Grande fille, vous aviez vos façons qui ne sont pas les nôtres » suggère que la singularité de l’oeuvre, fruit d’une créativité originale, pour surprenante, voire choquante (« scandale ») qu’elle soit, n’a pas à se justifier.


Quand, avec la troisième strophe, le ton retrouve le calme, il est à nouveau question des « baies amères ». L’amertume est donc liée au calme car l’accalmie met fin à l’exaltation de la seconde strophe née de l’expérience jubilante de l’écriture sous inspiration. Comme l’ange, l’inspiration passe, elle a ses moments, « ses façons », on ne peut la retenir. Le poète alors ne peut que redire ce qu’il a déjà dit. Rien de nouveau... Et puis l’inspiration est là à nouveau, alors le ton repart à l’enthousiasme, « et voici... », l’écriture combine d’une façon nouvelle des éléments anciens (« un grand bruit dans un arbre de bronze »), et se laisse emporter comme en un délire que rend ce rapprochement insolite des mots : « bitume et rose », « tonnerre et flûtes ». Ces couples de mots, commentés par J.-P. Richard (1981, p.35-80), suggèrent par l’antithèse (le laid et le beau, le lourd et le léger...) la pesanteur et la grâce, la condition de l’homme limité, terrestre, mais digne et capable du sublime qui est « don », en particulier dans la création artistique.


Dans ce poème tout se conjugue pour suggérer ce qu’est l’expérience poétique : un délice de la musique (« chant », « flûtes ») qui se mêle à la jouissance de la parole (« tant d’histoires à l’année ») dans une profusion, un débordement jusqu’au superlatif (« la plus belle robe »). L’homonyme « robe » relie la femme et le poulain et porte la trace de la symbolique médiévale de la licorne. Le poulain est mis au monde par l’esprit du poète inspiré par une figure féminine, Muse de la mythologie grecque ou interlocutrice du dialogue de l’Annonciation (les trois strophes du poème rappelant les trois temps de la sonnerie de l’Angelus). Dans une lecture allégorique, le poulain mystérieux est le poème naissant, il grandira pour devenir le « cheval » qui traverse tout Anabase jusqu’au retour « sous l’arbre » dans la Chanson finale. Il a arpenté un itinéraire singulier (« nos voies ») mais il est conduit à l’universel (« par les chemins de toute la terre ») par une quête de l’esprit. Saint-John Perse indique qu’« Anabase » signifie à la fois « montée en selle » et « expédition vers l’intérieur » (Saint-John Perse, 1972, p.1108).



2 – La poésie comme expérience culturelle et expérience universelle


2.1 - Les étudiants chinois et la poésie

Dans quelle mesure, cette lecture du poème de Saint-John Perse, mêlant plusieurs approches, prend-elle en compte les habitudes de lecture poétique des étudiants chinois ? Pour mieux connaître celles-ci, j’ai interrogé 26 étudiants de Master[12] dans le cadre d’une enquête sur leurs pratiques de lecture et d’écriture. La poésie tient une grande place dans ces entretiens, elle est évoquée mais aussi présente matériellement (« dans mon sac il y a un recueil de poésies », He Tingting) et vocalement, puisqu’un étudiant récite un poème par coeur :


C’était il y a très... très longtemps, quand j’étais petit, j’ai récité une poésie. C’était L’oie, parce qu’alors c’était... Ca doit être Wang Luzhi qui a écrit cette poésie.[13] [...] C’était écrit de façon très simple. C’était seulement[14] : « é é  é / qū xiàng xiàng tiān gē / bái máo fú lǜ shuǐ / hóng zhǎng bō qīng bō » Le sentiment global c’est que c’est l’image vivante de l’oie qui est décrite. Et ensuite il imite... euh, il imite... et l’ensemble nous fait imaginer la scène. C’est écrit de façon originale. Et puis... dans le poème, on peut voir l’allure de l’oie. Ça nous donne une sorte... le charme tient à cela et l’impression générale est assez belle. Parce que quand j’étais petit, j’ai passé du temps à la campagne et donc je voyais des oies, elles nageaient librement en groupe à la surface de l’eau. Je trouvais... je trouvais que c’était plutôt assez joli. Donc quand j’ai lu ce poème, quand j’étais petit, je trouvais que... je trouvais que c’était normal, je n’avais pas une impression, une impression particulière. Mais maintenant, eh bien j’ai quitté la campagne et je me trouve en ville, maintenant, je trouve que la vie là-bas effectivement est très belle. Maintenant en ville, quand je vois quelque chose de beau, je pense à ça... Oui. Donc, maintenant il m’arrive parfois de lire ce poème, et je me rappelle cette expérience et effectivement c’est pas mal, c’est pas mal du tout. (Zhao Shen)


Zhao Shen fait partie des étudiants qui ont un rapport passionné à la lecture de la poésie, excellent connaisseur de l’histoire des formes poétiques sous les différentes dynasties. Il décrit la poésie comme une vision et un mouvement et fait également le rapprochement avec la calligraphie.


La poésie tient une grand place dans leur parcours scolaire. Les étudiants évoquent avec précision des souvenirs d’enfance liés à la poésie : « En fait, à deux ans, je récitais des poésies. C’est mon père qui m’apprenait les poésies des Tang, donc à deux ans, je récitais des poésies. » (An Rui). A l’école primaire, la poésie est présente « dans chaque leçon du livre » (Zhao Shen). Au lycée, « chaque jour en cours, il fallait en lire » (Liu Dengxi). La contrainte scolaire de l’apprentissage par cœur est vue de façon positive puisqu’elle remet à plus tard la compréhension difficile du sens et offre le plaisir de la récitation actuelle et de la référence commune avec quiconque en cite ou en récite :


C’était en deuxième année d’école primaire, j’ai vu une autre élève qui récitait une poésie apprise par cœur, devant tout le monde, elle l’a récitée devant toute l’école. Et moi je l’ai enviée. Et depuis ce moment-là, j’aime bien, je me dis que c’est quand même pas mal du tout de réciter ! Et il doit y avoir un lien. En récitant beaucoup, j’ai envie d’écrire ou bien cela suscite mon intérêt, c’est peut-être ça, voilà. (Zeng Zhongsui)


Le cursus scolaire est marqué aussi bien par la lecture que par l’écriture de la poésie. Les étudiants se souviennent des poésies apprises mais aussi des poésies écrites, et pour certains dès l’école primaire :


Là où [mon grand-père] habitait, le paysage était très beau. Quand j’étais petit, j’étais dans un bon environnement. Il y avait une rivière, un très beau paysage, la rivière était très claire, il y avait des petits poissons, etc. [...] Et alors à ce moment-là, mon impression c’est que c’était très bien et alors j’écrivais. Mais c’était des choses très simples [...] quelque chose qui coule de la bouche sans qu’on réfléchisse. (Zeng Zhongsui)


L’écriture de la poésie apparaît comme une expérience spontanée de l’enfance ou de l’adolescence, sans complexe et sans modèle, liée à la nature. Plusieurs se souviennent aussi de l’étude de poésies qui les a incités à écrire eux-mêmes. La référence commune majeure, ce sont les 300 poésies des Tang « que tous les enfants lisent » (Xie Shaofeng). « Je considérais cela comme un trésor » (Zheng Dengli). Le poème que Zhao Shen récite pendant l’entretien, en fait partie. Il évoque son apprentissage scolaire :


Tout mon jugement sur ce qui est beau, pour l’essentiel ça s’est formé à ce moment-là. Et un certain nombre de mes manières actuelles de considérer certaines choses ont été formées en lien avec les poésies apprises alors. (Zhao Shen)


De même, un autre insiste sur la référence fondatrice à cette anthologie :


J’apprends le français, mais je trouve toujours que le chinois des poèmes des Tang et des poésies ci des Song c’est la manière la plus belle de... de... d’exprimer une pensée. Parce que c’est très concis et précis. Il faut peut-être 5 caractères, et si on le traduit dans une langue étrangère, il faut peut-être une strophe, disons. (Xie Shaofeng)


Une autre référence mentionnée, ce sont les poésies dans le grand roman classique du XVIIIe siècle Le rêve dans le pavillon rouge :


Le rêve dans le pavillon rouge ça été très utile pour moi pour cultiver et acquérir la langue. [...] J’ai appris par cœur beaucoup de passages du Rêve dans le pavillon rouge, c’est-à-dire des poésies. [...] Pour moi c’est une sorte de modèle du sentiment esthétique. Et peut-être aussi que cela a une influence assez forte sur mon caractère. Quand j’étais petite, je lisais continuellement ce genre de livres de la Chine classique. (An Rui)


Plusieurs étudiants ont cultivé durablement ou cultivent toujours une pratique d’écriture poétique. Le propos est modeste :


Ça ne veut pas dire que c’est ce qu’on appelle de la poésie comme ce qu’écrit un poète, c’est... ça n’atteint pas un tel niveau [rires]. (Zeng Zhongsui)


Mon impression c’est que je ne suis pas très bonne... c’est simplement que je pense que j’aime bien et que c’est une bonne chose, c’est tout. (Huang Ai)


La poésie est lue, feuilletée, récitée, imitée, étudiée, téléchargée, écoutée, écrite (dans le journal, le blog, la correspondance, sur les forums) ou encore recopiée, cela va de la correspondance sentimentale aux paroles rimées de chansons en passant par des formes très diverses, voire complexes :


Avant pour ma petite amie, j’en écrivais. (Pan Jiaqiang)


Tout à la fin des lettres, on copiait une poésie, on copiait une poésie qu’on aimait, on la copiait derrière. Echanger de cette manière, je trouve que c’est quelque chose de très bien. (Zheng Dengli)


Maintenant, j’écris des poèmes de forme ancienne dans mon blog, c’est-à-dire les « poèmes réguliers en vers de 5 caractères » chinois, les « quatrains en vers de 7 caractères », des choses comme ça. Et il y a aussi pour les... les... tons, il y a les ping, [...] les ping ze[15] : ping ping ze ze ping ze ze ping, et ensuite on doit y mettre arranger les mots de cette manière. Et il y a aussi les poèmes ci des Song, là il y a une métrique, le premier vers c’est 3 caractères, ensuite 5 caractères, ensuite 7 caractères, c’est très strict. (Xie Shaofeng)


La poésie est orientée vers l’intimité. « J’en écris pour la lire moi-même ». (Zheng Dengli). C’est une écriture du sentiment, de l’intériorité et de l’état d’esprit. Elle est vue comme le mode d’expression par excellence :


Il y a toujours eu [dans l’écriture littéraire] un très grand espace de liberté. C’est pourquoi en Chine, on peut voir... ce qui s’est transmis jusqu’à nous... même pour les classiques de la philosophie, tout cela ressemble à de la poésie, à des essais (sanwen). Ça ne ressemble pas à, par exemple, Aristote ou encore Saint Augustin [en français], ou Descartes, qui sont ainsi très rigoureux, avec des textes écrits à la manière des scientifiques. [...] Mais nous, d’un point de vue historique, nous n’avons pas un tel cadre. Ce que nous avons c’est la poésie. Donc de façon courante, notre... quelle que soit l’écriture, tout est plus proche de la poésie, du roman, c’est très libre. (Zhu Mei)



2.2 - La poésie dans la culture chinoise

L’expérience personnelle des étudiants est replacée dans l’expérience communautaire. La poésie est très présente, de manière générale, dans la culture chinoise. Che Lin (2011, p.136) a cette formule merveilleuse pour évoquer cette tradition séculaire : « on vivait en poésie ». Elle met en lumière certains accents particuliers de la pratique poétique chinoise, notamment le lien essentiel entre l’oeuvre littéraire et le monde : « L’ordre du wen (littéraire) est naturellement référé à l’ordre de l’univers dont une oeuvre littéraire représente à la fois un déploiement et un accomplissement » (Che, 2011, p.146) La poésie suit le dao, établissant un rapport fusionnel entre l’homme et la nature, cherchant la simplicité et la spontanéité. « La poésie est le résultat d’une interpénétration de la subjectivité du poète et de la réalité objective des choses. » (Che, p.340).


En faisant l’expérience de suivre des cours de poésie chinoise dans des départements de Chinois langue étrangère d’universités chinoises et en lisant des ouvrages de présentation de la poésie chinoise pour les élèves du primaire ou du secondaire,[16] j’ai observé une approche qui repère en premier les éléments situationnels et révèle l’expérience faite par le poète (auquel est assimilé l’énonciateur), expérience que le lecteur peut partager en intériorisant dans sa lecture l’état d’esprit (xinqing) du poète. La lecture de la poésie en classe apprend cette communication de l’intériorité à l’intériorité.


Plusieurs éléments particulièrement privilégiés dans l’expérience poétique familière des étudiants chinois ont orienté la lecture du poème de Saint-John Perse : la conception de la poésie comme imitation de la nature et la recherche de correspondances entre le texte et la nature ; l’émotion du lecteur, ce qu’il ressent sur le plan affectif et sentimental ; l’oralisation et même la théâtralisation du poème, abordé comme parole à entendre, avec son rythme et sa musique ; la référence à l’histoire littéraire et à une manière reçue et cultivée de classifier les formes poétiques et les courants d’écriture ; le lien entre l’apprentissage de la langue et la poésie ; l’expérience de l’apprenant lecteur et auteur de poésie ; la conception du langage poétique comme langage subtil et concis, marqué par la retenue, avec l’idée que la compréhension est un dévoilement progressif ; la poésie comme forme accomplie, voire sublime, du langage et expérience de liberté...


Cependant, les étudiants chinois ont peu l’habitude d’envisager l’art comme porteur d’une réflexion sur l’art, l’art cherchant à dire ce qu’est l’art. L’interprétation proposée dans la dernière étape de l’explication et qui s’appuie sur les commentaires de l’oeuvre de Saint-John Perse et sur l’idée, développée par Todorov (2007), qu’en Europe à partir du début du XXe siècle « l’art se prend lui-même pour sujet », cette approche ils la trouvent peu familière. Cependant, comme pour l’intertextualité et les symboles du poème, ils disent aussi être heureux de disposer de cette clé interprétative parce qu’elle leur ouvre l’accès à l’art contemporain avec un regard nouveau.



Conclusion

La lecture d’un texte poétique en classe de langues est nourrie par des traditions culturelles très diverses qui donnent lieu à des approches et des interprétations qu’il est possible de faire se rencontrer en gardant fidèlement à chacune sa cohérence propre. Cette cohérence est assurée si le lecteur la cultive en lui-même. Le lecteur est donc renvoyé à sa responsabilité interprétative.


Cette exigence permet de répondre à la question, posée à la didactique de la littérature en classe de langues, par la « perspective actionnelle », développée dans le sillage des travaux européens pour un Cadre Commun de Référence pour les Langues. Le mot « action » vient à Saint-John Perse pour donner le sens de son poème : « Anabase, explique-t-il en 1960, a pour objet le poème de la solitude dans l’action. Aussi bien l’action parmi les hommes que l’action de l’esprit, envers autrui comme envers soi-même. » (cité dans Saint-John Perse, 1972, p.1108). Le poème inaugural d’Anabase conçoit la parole comme événement, comme naissance. La poésie est une quête spirituelle universelle de la parole essentielle. Elle est l’événement d’un langage, d’une haute qualité, écouté et parlé. Dans le partage des interprétations, elle se fait écoutante de l’écoute des autres. C’est ainsi qu’elle sollicite la réponse aux grandes questions de l’existence (Todorov, 2007). Celles posées par Anabase peuvent travailler existentiellement un jeune, étudiant de langues : qu’est-ce que la parole ? qu’est-ce que créer et commencer ? qu’est-ce qu’être étranger ? qu’est-ce que naître ?... Autrement dit, comme l’écrit Todorov, la littérature peut « nous aider à vivre » (2007, p.72).


« Vivre en poésie », selon la perspective chinoise, c’est cultiver un langage qui donne de « parler dans l’estime », comme l’écrit Saint-John Perse dans Eloges, pour proférer cette éternelle et universelle question que Claudel, avec des échos persiens, met dans la bouche de Besme (La Ville) :


Explique-moi d’où vient ce souffle par ta bouche façonné en mots.


Car, quand tu parles, comme un arbre qui de toute sa feuille


S’émeut dans le silence de Midi, la paix en nous peu à peu succède à la pensée


Par le moyen de ce chant sans musique et de cette parole sans voix, nous sommes accordés à la mélodie de ce monde.


Tu n’expliques rien, ô poète, mais toutes choses par toi nous deviennent explicables.




ALBERT, Marie-Claude et Marc SOUCHON, (2000), Les textes littéraires en classe de langue, Paris : Hachette

BAO, Yening, (2012), « De la dimension poétique des textes littéraires en classe de FLE », Synergies Chine, n°7, p.169-178

BISHOP, Marie-France et Max BUTLEN, (2010/1), « Continuités et ruptures dans l'enseignement de la littérature », Le français aujourd'hui, n° 168, p. 3-7

BOSQUET, Alain, (1990), Saint-John Perse, Paris : Seghers

CAMELIN, Colette, (2006), « Comment lire les poèmes de Saint-John Perse ? », L'information littéraire, vol. 58, p. 23-27

CERY, Loïc, (2014), « Anabase, l’épopée de la conquête », Site Saint-John Perse le poète aux masques, [en ligne, consulté en janvier 2016] http://www.sjperse.org/anabase.html

CHE, Lin, (2011), Entre tradition poétique chinoise et poésie symboliste française, Paris : Harmattan

DAUNAY, Bertrand, (2007), « État des recherches en didactique de la littérature », Revue française de pédagogie, n°159, p.139-189

GABATHULER, Chloé et Bernard SCHNEUWLY, (2014), « Relations esthétique, éthique et émotionnelle au texte littéraire. Deux textes contrastés au fil des niveaux scolaires », Lidil, n°49, p. 153-176

MARTIN, Serge, (2010), « Présentation. Les poèmes au coeur de l'enseignement du français », Le français aujourd'hui, n° 169, p. 3-14

SAINT-JOHN PERSE, (1972), Oeuvres complètes, Paris : Gallimard

SOUFFLE DE PERSE, revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, [en ligne, consulté en janvier 2016] http://fondationsaintjohnperse.fr/html/Souffle.htm

RICHARD, Jean-Pierre, (1981), Onze études sur la poésie moderne, Paris : Seuil

RIQUOIS, Estelle, (2010), « Exploitation pédagogique du texte littéraire et lecture littéraire en FLE : un équilibre fragile », Communication aux 11èmes rencontres des chercheurs en Didactique des littératures, Genève, [en ligne, consulté en janvier 2016] http://www.unige.ch/litteratures2010/contributions_files/Riquois%202010.pdf

TODOROV, Tsevan, (2007), La littérature en péril, Paris : Flammarion 

VAN RUTTEN, Pierre, (1977), Eloges de Saint-John Perse, Paris : Hachette




[1] Ce poème du prix Nobel de littérature (1960) a déjà fait l’objet d’une analyse en didactique des langues chez M. Souchon et M.-C. Albert (2000, p.138) s’interrogeant sur la notion de « genre ».

[2] C’est le nom (jingdu) du cours de français général.

[3] Pour une histoire de la réception de l’oeuvre, voir notamment les témoignages cités par L. Céry, 2014 ; voir aussi la revue en ligne Souffle de Perse.

[4] Selon les indications données par Saint-John Perse dans les Oeuvres complètes (1972, p.XVIII).

[5] La prononciation « feuil-les de bronze », « hom-me », « ar-bre de bronze » donne l’alexandrin.

[6] Par exemple : « arbre de bronze » qui unit « feuilles de bronze » et « arbre » ; la cinquième phrase du poème se distribue : « bruit » se retrouve au 3ème paragraphe, alors que « province » se retrouve au 2ème. Des échos apparaissent entre les 2ème et 3ème strophes avec « aisance dans nos voies », « tant de » et « façons ». Enfin, « Je vous salue, ma fille » se retrouve à la 1ère et dernière strophe, avec « sous ... de l’année », cependant que toutes les strophes se terminent par une réplique au style direct où figure une « fille » qui semble faire le lien entre les trois strophes.

[7] « ...et soudain ! apparu dans ses vêtements du soir et tranchant à la ronde toutes questions de préséance, le Conteur qui prend place au pied du térébinthe... » (Oeuvres complètes, p.113)

[8] Ces singularités sont les suivantes : on ne peut dire d’un homme qu’ « il est bruit » ; « venu de » devrait précéder « autres provinces » ; « à mon gré » devrait être précédé de « trop + adjectif ».

[9] On peut comprendre « au Lion » comme un raccourci de, par exemple, « à l’auberge du Lion », mais parce qu’on ne décrypte pas d’emblée ce raccourci, l’expression « la lumière entre au Lion » a un caractère fantastique, presque hallucinatoire, qui crée une atmosphère surnaturelle.

[10] La substitution du passé simple « il naquit » à l’imparfait « il naissait » avec l’utilisation inhabituelle de « naître » comme verbe impersonnel donne au texte une tournure épique, à la façon du « il était une fois » ou d’un récit mythique qui concernerait un héros.

[11] Le lyrisme s’exprime dans la seconde et troisième strophes avec des interjections « ah ! », des formes exclamatives (qu’il..., que..., tant de...), des points d’exclamation jusqu’au milieu des phrases donnant libre cours à l’excitation, à la joie euphorique. C’est un moment de jouissance (« aisance », « délice ») et d’enchantement du passage de l’ange, figure suggérée à nouveau avec les mots « trompette », « plume », « aile ». Le mot « plume » joue sur un double sens, c’est la plume de l’ange mais « savante », elle devient la plume de l’écrivain et du poète. Souchon et Albert montrent bien que le texte est à la fois épique et lyrique (2000, p.138s).

[12] Il s’agit d’entretiens compréhensifs en chinois avec des étudiants chinois de 2ème année de Master en Chine, apprenants mais non spécialistes de français. Les noms sont des pseudonymes.

[13] En fait, c’est de Luo Binwang.

[14] Je traduis littéralement : « L’oie, l’oie, l’oie / Elle courbe le cou vers le ciel et chante / Ses plumes blanches flottent sur l’eau verte / Ses palmes rouges remuent dans l’onde claire. »

[15] Ping = ton plat ; ze = ton oblique (montant, descendant ou rentrant)

[16] Par exemple : Xiao xuesheng bibei gushici 70 shou (70 poèmes classiques que la élèves du primaire doivent apprendre par coeur), 2001, Pékin : Editions Zhongguo xiju chubanshe ; Tangshi songci yuanqu 300 shou (300 poèmes des Tang, ci des Song et qu des Yuan, 2002, Changchun : Editions Beifang funuertong chubanshe


Pour citer cet article:

Pernet-Liu AGNES, « Lire Saint-John Perse en classe de FLE, dialogue des cultures interprétatives et expérience universelle de la poésie », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.78-102




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