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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


Analyse de texte et apport de la littérature dans le processus d’enseignement/apprentissage des langues étrangères

Abdellatif MAKAN
Université Sultan Moulay Slimane (Maroc)

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012

Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Citation - Téléchargement

La présente réflexion sur l’importance de la littérature écrite s’inscrit dans le sens de revalorisation du processus de l’enseignement et l’apprentissage. La littérature ne constitue pas une fin en soi. C’est un prétexte qui regorge d’énormes richesses linguistiques et culturelles exploitables en classe des langues étrangères. En marge de la langue, de la grammaire, de la syntaxe, du lexique, l’enseignement des faits civilisationnels, de l’interculturel, loin de l’histoire et des faits littéraires, permet à l’apprenant d’avoir également des connaissances socioculturelles. La réconciliation du linguistique et du culturel cultive chez lui des aptitudes à lire, à comprendre, à écrire, à analyser, et des sentiments d’acceptation de l’Autre dans sa différence, et surtout de tolérance.
Le texte qui occupait auparavant une place prépondérante dans le champ d’enseignement et d’apprentissage commence à disparaître des programmes éducatifs au profit des méthodes qui veulent être des approches communicatives. L’utilité de la littérature en classe de langues étrangères, c’est de permettre à l’apprenant de développer une hyper-compétence englobant la maitrise et la norme linguistiques, l’analyse référentielle et textuelle, et surtout la compréhension et l’accès à la culture de l’Autre.
Que ce soit en milieux scolaire, universitaire, ou autres, il existe différentes possibilités d’exploiter le texte littéraire en fonction des préoccupations immanentes de l’apprenant. Aussi désirions-nous que le texte littéraire (re)prenne sa place en classe des langues étrangères.

إن هذه الدراسة تندرج في سياق الاهتمام بدور وأهمية الأدب المكتوب الهادف إلى تحسين وتجويد عملية التعليم والتعلم . إن الأدب لا يشكل غاية في حد ذاته؛ بل هو ذريعة يضمر في ثناياه ثروات لغوية و ثقافية هائلة يجدر استغلالها في فصل تدريس اللغات الأجنبية؛ يأتي هذا الاستغلال من حيت أن تعلم اللغة والنحو وبناء الجملة والمعجم... يتيح، لا محالة، الإطلاع على الحضارة والثقافة و جعلها في متناول المتعلم بالإضافة إلى معارف أخرى اجتماعية وأدبية وغيرها. إن التوفيق بين ما هو لساني/ لغوي و ما هو ثقافي/ أدبي من شأنه أن ينمي لدى المتعلم مهارات القراءة والفهم والكتابة والتحصيل، ومشاعر قبول الآخر في اختلافه وخصوصاً تبني التسامح كقيمة كونية
إن النص الذي كان يحتل مكانةً بارزةً في مجال التعليم والتعلم بدأ يختفي من البرامج التعليمية لصالح المناهج التي تعتمد مقاربات تواصلية. إن الفائدة من تدريس الأدب في صف اللغات الأجنبية هو تمكين المتعلم من اكتساب و تطوير قدرة كبيرة تشمل إتقان اللغة و قواعدها و التحليل المرجعي والنصي و خاصةً تحقيق التفاهم و الولوج إلى ثقافة الآخر.
إن هذه القضية، سواء تم طرحها في الأوساط المدرسية أو الجامعية أو غيرها، فهي تهم إيلاء الانتباه والاهتمام اللازمين للطرق المختلفة للاشتغال على النص الأدبي في بناء التعلمات و الاستجابة لمتطلبات التعليم والتعلم والمتعلم. هكذا سيأخذ النص الأدبي مكانته داخل فصول تعليم اللغات الأجنبية


The present reflection on the importance of the written literature falls under the direction of revalorisation of the teaching and training processes. The literature does not constitute an aim in itself. It is a pretext which abounds in enormous linguistic and cultural wealths exploitable within fereign languages class. In addition to language, grammar, syntax and lexicon, the civilisationnels and intercultural teaching facts, far from the history and of the literary facts, allow the learner to have also sociocultural knowledge. The reconciliation of linguistics and cultural will make it easier for the lerner to develop aptitudes for reading, understanding, writing, analysing, and so on. Furthermore, this will also allow him to accept the Other with its difference.
The text which occupied before a dominating place in the field of teaching and training starts to disappear from the educational programs to the profit of the communicative approaches. The utility of the literature in foreign languages class is to allow the learner how to develop a hyper-competencies in mastering linguistic standards, the referential and textual analysis, and mainly acces to the culture of the Other.
Both in basic school and university, different possibilities of literary text exploitation related to learner preoccupation are existing. In conclusion, we wishe that the literary text takes its place in class of the foreign languages.


    ●    Introduction

    ●    1 - Littérature et faits de langue

    ●    2 - Littérature et faits d’interculturel



Introduction

Notre réflexion se fera en deux temps. Tout d’abord, nous tâcherons de montrer pourquoi le texte littéraire est avantageux et répond à la demande des connaissances en matière de langue ; ensuite, nous terminerons cette réflexion en insistant sur l’importance de la composante culturelle dans le processus d’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Nos propos seront illustrés en nous référant à la langue française.


1 - Littérature et faits de langue

La littérature est d’une grande importance. Elle inspire un cadre de référence juteux des matériaux de travail grammaticaux, linguistiques et culturels exploitables en matière d’enseignement et d’apprentissage des langues étran gères. Deux niveaux d’étude sont envisageables :


●   Le premier rend compte de la langue, en tant qu’objet, en « elle-même », en considérant l’aspect formel, structural ou morphologique du signe linguistique. Ce niveau relève de la compétence de la grammaire d’une langue. Il s’agit de décrire cette dernière en vue de déterminer la nature des signes linguistiques et leurs fonctions au sein d’une suite phrastique.


●   Le deuxième niveau, quant à lui, dépasse l’aspect descriptif ou formel de la langue, voire le niveau grammatical phrastique pur, au profit de l’emploi de la forme linguistique impliquant valeurs usuelles et culturelles des mots de cette langue.


Soit le schéma suivant :


Forme linguistique   emploi de la forme linguistique

(Description dessignes)       (Usage des signes)


Le passage du premier niveau au deuxième, l’inverse n’est pas possible, suppose une transformation dans le cadre d’intervention et de l’enseignant et de l’apprenant. Les deux changent de statuts en passant du domaine de la compétence à celui de la performance. Dans le premier cas, l’apprenant acquiert une compétence sous forme de connaissances des règles grammaticales ; dans le deuxième cas, il performe selon des modèles.


Cela dit, la littérature semble réaliser dans ce sens une ouverture sur deux types de grammaires : linguistique descriptive réservée à l’analyse et au classement des mots de la langue, et énonciative, textuelle ou « usuelle » s’occupant de l’emploi des mots de cette même langue.


La grammaire traditionnelle est nécessaire, mais insuffisante. Le texte littéraire offre dans cette perspective des situations où pourrait se pratiquer la langue. Il s’agit de l’accomplissement des actes de langage a-temporels, a-spatiaux, virtuels d’ailleurs, qui informent sur le type et l’objectif de tel usage (poser une question, exprimer un sentiment, accomplir un acte précis, donner un conseil, etc.). En effet, le texte littéraire représente des contextes d’usage textuel et extra-textuel. Tout en se renseignant sur la norme grammaticale, à retenir en compte bien entendu, l’apprenant se construit progressivement des modèles de production qu’il transforme, selon les situations d’apprentissage, sous forme d’énoncés écrits ou oraux. Ainsi, l’approche intégrée de l’apprentissage des langues étrangères semble être facilitée au moyen de la littérature dans la mesure où celle-ci permet à l’apprenant de développer, au moins, deux types de compétences : normative et usuelle ou communicative.


En outre, le texte littéraire met l’apprenant dans différentes situations de compréhension et de communication. La lecture, en soi, par exemple, du texte littéraire constitue une activité tellement intéressante vu qu’elle favorise un « apprentissage simultané ». La connaissance des signes de ponctuation, à titre d’illustration, est utile. C’est un savoir que l’apprenant peut acquérir. Mais il reste insuffisant en ce que la traduction ou l’emploi effectif du sens de ces signes de ponctuation manque dans le monde extralinguistique. En lisant ou en écoutant, l’apprenant pourrait traduire correctement un signe, comme le point d’interrogation (?), aux niveaux mélodique, rythmique et sémantique. Il en est de même pour le vocabulaire et les différentes combinaisons possibles entre les mots, etc.


La littérature contribue donc, à tous les niveaux, à développer une compétence linguistique, certes, mais aussi communicative reflétant le degré de maitrise d’une langue étrangère. Le texte littéraire est ce monde virtuel, généreux, que l’apprenant fréquente et découvre. Après la mise au point sur la grammaire et la connaissance de quelques modèles d’usage, l’apprenant pourrait s’exprimer « librement », soit en imitant ou en créant d’autres situations de compréhension et production.


Certes l’apprentissage de la grammaire pourrait se faire mécaniquement, en dehors du texte littéraire, sur les plans morphologique et syntaxique pour assurer le bon usage de la langue au moment de l’apprentissage. Mais, qu’en est-il de l’usage de ces normes ? Le bon usage ne signifie pas produire des phrases ou énoncés, mais produire selon la norme. L’usage ou l’emploi, quant à lui, est transitif. Il signifie à la fois le bon usage, par rapport à la règle, et la production selon des situations d’apprentissage signifiantes.


Soit l’exemple (1) de « en train de ».


Cette locution, en grammaire, sert à exprimer « le présent continu » ou « progressif ». L’apprenant apprendra cette norme et la mémorisera. Ce stade d’apprentissage reflète sa compétence. Cependant le stade de la performance va manquer. Considérons les situations suivantes possibles que pourrait fournir un texte littéraire :


●   Je suis en train de me dépêcher, car je suis en retard.

●   J’étais en train de lire un livre dans la cour.

●   J’étais en train de consoler un voisin.


Suivant ce modèle, l’apprenant pourrait penser à d’autres situations de parole possibles et produire des phrases ayant un sens. Néanmoins, il faut veiller à ce que l’apprentissage de la grammaire ne diminue en rien du champ d’intervention des apprenants. À travers le modèle que fournit le texte littéraire, l’apprenant doit être capable de s’exprimer dans diverses situations de communications. Il s’agit de développer les deux compétences de production et de compréhension, signifiantes, sans négliger l’aspect formel de la langue et vice versa (développer une compétence grammaticale de la langue sans négliger des situations de compréhension et de production). Comme l’expliquent Germaine et Seguin, dans l’étude de terrain menée sur des élèves canadiens francophones,


« (...), dans les groupes d’immersion où la forme grammaticale est négligée au seul profit du contenu enseigné (les matières scolaires), les risques de fossilisation paraissent plus élevés. Un des facteurs susceptibles d’expliquer la fossilisation des erreurs des élèves de la classe d’immersion serait la très grande production de formes linguistiques erronées de la part des autres élèves de la même classe. Mais, fait à constater, ce « classolecte » résulterait, à son tour, des excès d’un enseignement centré sur le contenu seulement, au détriment de la correction formelle » (Claude Germain et H., Seguin, 1998, p. 130 – 131).


Dans les Instituts Français et Alliances Françaises au Maroc, à titre indicatif, on a remarqué que l’importance est donnée à la compétence pragmatique ou communicationnelle. Ce type d’enseignement valorise la compétence communicative au détriment de la structure de la langue. Les apprenants manifestent une certaine confiance lors de la prise de la parole, mais en même temps une certaine carence ou connaissance insuffisante de la composante grammaticale. La faute phonétique, grammaticale, est tolérée en faveur de la compétence pragmatique.


Les lacunes pédagogiques dévoilent la place qu’occupe la grammaire dans le processus d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères, particulièrement le FLE. Ceci justifie la nécessité d’ouvrir les deux approches, structurale et communicative ou pragmatique, l’une sur l’autre et les harmoniser en fonction des objectifs d’apprentissage bien précis. Il s’agit par exemple de considérer l’acte de langage et de déduire l’outil favorisant la réalisation ou l’accomplissement de cet acte ou, inversement, déterminer une structure grammaticale et produire un acte de langage.


La communication se nourrit de la structure de la langue et la structure trouve écho pendant la communication. À travers le texte littéraire, on peut signaler des occurrences, les extraire, les comprendre puis les réutiliser. L’apprenant apprend et se forme en même temps en fréquentant des « locuteurs » quoique présentés dans le texte littéraire virtuellement. Comme le pense Mohammed Ben Ammar ci-après, « on estime qu’une telle description / simulation pourrait amener l’apprenant à intérioriser une connaissance grammaticale en vue de maitriser parfaitement une langue » (Mohammed Ben Ammar, 2015, p.80).


Cette procédure permet à l’apprenant de développer, en jumelant description et simulation, une « compétence textuelle » permettant de comprendre des questions de grammaire et de sens et de produire à partir du support littéraire. Différents niveaux, phrastique, textuel, sémantique, morphosyntaxique, se corrèlent et consolident l’opération d’apprentissage. Pour ce faire, il est avantageux de mettre l’apprenant « au cœur d’un processus de découverte » en le prolongeant dans l’univers du texte littéraire afin de faire le relevé des indices suivant des consignes élaborées strictement. Sa participation active l’aide à vérifier ses réponses vis-à-vis de ses semblables en vue d’homogénéiser les différentes réponses possibles et de contribuer à une compréhension finalisée heuristique et euphorique.


Exemple 2


A qui peut référer le pronom « il » dans tel texte littéraire ? Ou c’est qui « il » ? Il n’est pas évident de répondre à une pareille question ? Ce qui pourrait entraver l’opération de compréhension chez l’apprenant est ce problème de la « coréférence » (J. Guéron, 1979, pp. 42-49). Ce phénomène linguistique de la reprise, de l’anaphore, crée chez lui une confusion entre les sujets (le pronom personnel qui renvoie à une personne absente, l’unipersonnel exprimant l’unicité ou l’unique et l’impersonnel). L’apprenant est amené donc à suivre le mouvement du texte afin de déchiffrer le référent nominal du pronom « il ». Cette activité lui permet non seulement de comprendre, mais aussi de développer une compétence d’analyse référentielle afin de cerner le problème de la référence.


Soit l’extrait suivant :


« Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Saphysionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fils de la sœur de monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps. » (Voltaire, Candide –Chapitre 1).


Dans cet exemple, on peut souligner la présence d’une chaîne anaphorique fondée sur les pronoms « qui, il, le » et les possessifs (sa, son). Ce sont des déictiques qui renvoient à une instance énonciative externe aux énoncés qui succèdent l’antécédent. Ils réfèrent à l’item « jeune garçon » qui constitue implicitement le thème, placé devant le « il » impersonnel dans « il y avait », du premier énoncé. Cet énoncé peut être reformulé de la façon suivante :


●   un jeune garçon  était dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, en Westphalie.


L’apprenant comprendra ainsi que l’anaphore renvoie à un segment cataphorique et assure une continuité à la fois linguistique et sémantique.


La cataphore annonce L’anaphore reprend
Un jeune garçon  Qui, il, le, sa, son

Ce rapport bi-directionnel permet à l'apprenant aussi de saisir que les mots du texte entretiennent des rapports d'interdépendance selon deux formes de renvoi : l'annonce de ce qui succède (il, qui, le, sa, son) et la reprise de ce qui précède (jeune garçon) ; ensuite, il saura que la production du texte est soumise aux principes de la cohérence et de la pertinence en reprenant le même thème, et que l'anaphore permet d'introduire plusieurs propos et de réaliser une progression thématique afin d'organiser le « contenu » du texte.


Il s'avère alors que le Thème (un jeune garçon) est commutable avec d'autres formes linguistiques, pronoms et adjectifs possessifs accompagnant un nom, sans affecter réellement le sens. Ces anaphores sont coréférentielles.


Exemple 3


●  Ils étaient tous les deux. Je l'ai vue triste. Je l'ai conseillé d'être fidèle.


Il n'est pas facile de déterminer le référent du pronom « l' » par un apprenant de niveau débutant ou intermédiaire, voire même parfois de niveau avancé. « L' » est-il masculin ou féminin ? Renvoie-t-il à une femme ou à un homme ? Ce que peut comprendre l'apprenant dans ces phrases est le suivant : on a deux personnes ; l'une est triste ; l'autre est conseillée d'être fidèle. Mais la question du genre n'aura pas de réponse. A ce niveau, il est utile de montrer à l'apprenant comment repérer certains outils linguistiques facilitant la fixation de la référence.


L'analyse linguistique est au service de la compréhension des rapports possibles entres les mots d'une suite phrastique donnée. C'est ainsi qu'il va comprendre que c'est une femme ou une fille qui était triste parce qu'on a la marque du féminin « vu», et que c'est un homme qui est conseillé vu que le participe « conseillé » se termine par le morphème « é » en tant que marque de genre et de nombre.


Néanmoins, il convient de rappeler que le problème de compréhension ne se dénoue pas complètement. En sachant que « l' » renvoie dans les deux phrases à deux personnes de sexe différent, on ignore à quelle personne pourrait convenir : petite, jeune, adulte, grande, vieille... Du moment que les propositions sont séparées de leur contexte d'énonciation, la phrase peut être appréhendée de différentes façons : les deux peuvent être un frère et une sœur, des amis, des amoureux, un couple...


En l'absence du contexte, se déclenche un implicite qu'il faut étudier en faisant introduire les paramètres du contexte énonciatif. Dans ce sens, le texte littéraire semble présenter une matière brute extrêmement riche à exploiter à des fins linguistique (langue + grammaire), sémantique (compréhension) et surtout communicatif (production). Il constitue donc une brèche en faveur de l'opération d'enseignement et d'apprentissage d'une langue étrangère comme le FLE.


La programmation du texte littéraire a deux vertus : 1- la possibilité de connaitre la règle grammaticale ; 2- la « textualisation » de cette règle en vue de pousser l'apprenant à un niveau plus travaillé de la grammaire, à savoir la grammaire du texte. A notre sens, de tels processus permettraient à l'apprenant, à son tour, de produire un discours cohérent en établissant des enchainements entre les mots, et par là entre les phrases en exploitant ses connaissances de base.


Exemple 4


« D'abord », au niveau grammatical, est un adverbe signifiant qui peut venir en premier lieu dans le temps. C'est une interprétation normative extratextuelle. Dans le cadre du texte littéraire, l'apprend comprendra que « d'abord » devient un articulateur de discours, voire un mécanisme de cohérence ou d'enchainement. Cette fonction de l'adverbe se justifie par rapport à la situation linguistique et référentielle du texte littéraire en question. Il s'agit donc de prendre les deux types de grammaire, phrastique et textuelle, et de fonder une grammaire fonctionnelle œuvrant en faveur d'un bon enseignement et apprentissage des langues.


2 - Littérature et faits d'interculturel

Comme le postule pertinemment le chercheur Jean-Marc Colleta, on se demande à notre tour : «dans un monde où les contacts interculturels sont de plus en plus fréquents et concernent de plus en plus d'individus et de groupes, peut-on se borner à enseigner les langues étrangères sans tenir compte des cultures des peuples qui parlent ces langues ? » (Jean- Marc Colleta, 1992, p. 37). 


On pense que le texte littéraire représente, en plus de l'aspect linguistique, une source des valeurs culturelles, qui sont parfois fondamentales à l'accomplissement de l'acte d'enseignement et d'apprentissage d'une langue. Ce qui travaille en tant que texte, en tant qu'énonciation, c'est aussi un ensemble des valeurs culturelles émis relativement aux cadres participatifs (je/tu) et spatiotemporels.


Apprendre donc au moyen du texte littéraire, ceci nécessite un voyage « symbolique » afin de reconstruire l'univers du texte et de favoriser un apprentissage euphorique. En effet, apprendre la langue en tant que forme ou substance, en elle-même et pour elle-même, exclut le domaine de compétence ou d'intervention de cette langue. Une langue n'est « compétente », voire opérationnelle, active, que par rapport au (x) domaines (s) de son usage. Force est de constater que l'apprentissage nécessite une autre compétence de nature culturelle. Ceci présuppose que le responsable de l'acte d'apprentissage doit être muni d'une arme à double tranchant : connaitre et maitriser la langue et la culture de l'Autre. Enseigner la littérature à l'apprenant marocain, à titre d'illustration, c'est savoir jouer le rôle de médiateur des savoirs linguistique et culturel afin de pouvoir valoriser la culture de l'Autre et l'inclusion sociale.


L'enseignement de l'interculturel à partir de la littérature permettra à l'apprenant de découvrir la complexité du monde dans lequel il vit et de relativiser ses jugements. En plus d'une meilleure compréhension et connaissance de l'Autre, se développent chez l'apprenant l'esprit de tolérance et le sentiment d'acceptation de la diversité linguistique et culturelle.


« Il s'agit par conséquent de développer chez l'apprenant une attitude positive à l'égard de l'Autre, de former chez lui l'expérience de l'altérité. Il est évident qu'une bonne connaissance de l'Autre permet de mieux se découvrir soi-même, et donc de mieux former sa propre identité, car la plus grande sera cette connaissance, plus vite et plus facilement les intolérances, l'ethnocentrisme et les attitudes du rejet de ce qui est différent se réduiront. Mais l'interculturel ne se réduit pas à la connaissance de l'Autre ; il est fait d'intercompréhension et d'interprétation. Car la culture est à la source même de la communication et de la communion entre les hommes. » (David Ngamassu, 2003, p. 69).


Une mise au point s'avère essentielle. L'apprentissage des langues n'est pas exclusivement réservé à un niveau scolaire donné ou à une catégorie d'âge précise. L'opération d'apprentissage évolue parallèlement à l'épanouissement de l'apprenant, notamment en fonction de son âge, sa maturité, ses compétences. L'on peut commencer par le petit texte (conte, fable, nouvelle, extrait de roman, extrait de théâtre) allant jusqu'à la considération de l'œuvre dans son intégralité. Le besoin en matière de langue et de culture se fait selon des situations dans lesquelles se trouve l'apprenant, et qui deviennent de plus en plus embarrassantes à travers le temps.


Le document littéraire apparait utile et fructueux. L'apprenant s'en sert linguistiquement et culturellement pour une bonne harmonie de son esprit. Dans ce sens, la littérature ne constitue pas un objet à enseigner, mais une cause devant servir l'opération d'enseignement/apprentissage, et par là les deux acteurs enseignant et apprenant.


La programmation du texte littéraire n'a pas pour objet de former des écrivains. Ce sont les cumuls et diversifications des expériences, la multiplicité des contacts avec le texte littéraire, qui aideront l'apprenant à avoir tout d'abord un capital linguistique et culturel, puis la possibilité d'investir ce capital dans différentes situations d'apprentissage et de vie.


Les besoins d'apprentissage se traduisent en termes d'objectifs :


●  communicatifs ou pragmatiques : l'apprenant apprend à décrire, raconter, argumenter, présenter, se présenter, à comprendre, etc.


●  linguistique : il exploite correctement la langue (structures, conjugaison...), notamment en ce qui concerne le bon usage de la matière brute qu'offre un système linguistique donné (structures linguistiques, conjugaison, valeurs temporelles et aspectuelles, etc.)


●  lexical : il enrichit son lexique et exprime une certaine flexibilité au niveau de la compréhension et de l'expression orale ou écrite.


●  culturel : il vit à travers le monde qu'incarne le support littéraire dans différents contextes d'usage de la langue. Ce sont des situations problèmes permettant à l'apprenant de réaliser des « voyages virtuels » et d'apprendre comment s'y adapter.


Différentes compétences se développent donc eu égard à cette forme d'apprentissage bi-factoriel, linguistique et culturel. Il ne s'agit pas d'enseigner le texte littéraire ou de la littérature en général, en tant que telle, mais investir à partir de la littérature en tant que base pour un enseignement et apprentissage innovateur et motivateur.


L'enseignant joue donc le rôle du linguiste observateur veillant sur l'apprentissage « heureux » de la langue en relation avec la charge culturelle dont elle est porteuse. Comme l'explique Mokhtar Chaoui, « nous devons comprendre que la véritable fonction d'un professeur de littérature, ce n'est pas d'enseigner la littérature mais la science qui la fabrique. Cette science n'est autre que la langue » (Mokhtar Chaoui, 2011, p. 68). L'enseignant n'a pas pour mission uniquement de transmettre un savoir, ou être un médiateur de savoir, car le message peut atteindre son destinataire comme il peut échouer, mais être également un agent de communication qui veuille à impliquer son destinataire, hétérogène d'ailleurs, dans le circuit de l'activité d'enseignement en vue de développer chez lui une compétence linguistique d'une part, et une autre transversale d'autre part.


Or, il n'est pas essentiel que le support littéraire soit toujours de forme graphique. D'autres supports, particulièrement visuels, peuvent être exploités comme le cas de l'adaptation cinématographique où l'utile se joint à l'agréable. Un extrait littéraire enregistré sera utile aussi. Dans ce sens, la littérature est protéiforme à condition de veiller sur l'essence ou la quintessence littéraire, sans laquelle le contenu de l'apprentissage devint mutilé. Il est à rajouter aussi que la finalité constitue un maillon solide dans le circuit d'apprentissage. Sans objectif, même le texte littéraire serait inutile.


Par ailleurs, toute littérature est-elle bonne et au service de l'enseignement/apprentissage des langues étrangères ? Nous l'avons dit. L'apprentissage équivaut à un ensemble des situations qui varient selon l'âge et les besoins d'apprentissage de l'apprenant. Chaque public a sa propre littérature ; l'opération d'apprentissage est un processus interminable. La sélection du texte littéraire est fondamentale. L'objectif n'est pas de diffuser des connaissances, un savoir, pour des enfants. Ce pourrait le cas pour des universitaires par exemple. Il s'agit de procéder en général en tenant compte des besoins des apprenants.


En bref, le besoin dicte le choix du support. Les responsables de l'apprentissage et l'enseignement ne sont pas des enseignants dans le sens archaïque du terme, mais des formateurs dont la fonction est d'aider les apprenants à se forger et à s'épanouir.


Il semble que la littérature constitue un tremplin vers l'universel aux niveaux linguistique, culturel et communicatif, voire même sensationnel permettant la jouissance. Il n'est pas correct de la réduire à son unique rôle d'enseignement de la langue. Elle est plus que cela. C'est un vecteur de diffusion de la langue et des valeurs dont elle est porteuse.


Notre réflexion ne constitue qu'une suggestion parmi d'autres possibles que l'enseignant pourrait exploiter en classe de langues étrangères. La littérature est généreuse et offre de nombreuses pistes et champs fertiles à exploiter : ludique, mythique, anthropologique, historique, social, poétique, rythmique, sociologique, etc., Le choix doit se faire selon les besoins de l'enseignement et l'apprentissage. Ainsi apprenons à nos apprenants à savoir comment apprendre par le truchement de la littérature.




 Guéron, Jacqueline, (1979), « Relations de coréférence dans la phrase et dans le discours », Langue française, volume 44, N° 1, Paris, Larousse, pp. 42-79.

 Chaoui, Mokhtar, (2011), « Enseigner la littérature, c’est apprendre à éprouver », Recherches pédagogiques, N° 14-15, AMEF. (pp. 67-72)

 Ben Ammar, Mohammed, (2015), « Plaidoyer en faveur d’une didactique plurielle et intégrée de la grammaire en F.L.E. », Recherches pédagogiques, N° 18, Kénitra, AMEF.(pp. 75-91)

 Germain, Claude et H., Seguin, (1998), Le Point sur la grammaire, CLE international.

 Dijk, Van, T., (1973), « Grammaire du texte et structure narrative », in Sémiotique narrative et textuelle, Paris : Larousse.

 Jeandillou, S.,(1985), L’Analyse textuelle, Paris : Armand Colin.

 Ngamassu, David, (2003), « Place et fonction de l’ethnotexte en clase de français langue étrangère et seconde », Recherches pédagogiques, N° 09, AMEF, (pp. 66-80).

 Combettes, Bernard, (1983), Pour une grammaire textuelle. La progression thématique, De Boeck-Duculot.

  Combettes, Bernard, (1992), L'organisation du texte, collection Didactique des textes, Université de Metz.

 Danes, (1974), Peperson fonctionnel sentence perspectives, Mouton, La Haye.





Pour citer cet article:

Abdelatif MAKAN, « Analyse de texte et apport de la littérature dans le processus d’enseignement / apprentissage des langues étrangères », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.202-218




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