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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


Supports et interculturalité en classe de langue : Cas du FLE au lycée au Maroc

Mina SADIQUI
Université Moulai Ismail (Maroc)

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012

Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Annexe | Citation - Téléchargement

A partir de 2002, la plupart des disciplines enseignées au cycle secondaire au Maroc ont subi de larges révisions tant au niveau de leurs contenus (programmes) que de leurs modalités de mise en œuvre ou encore de celles de leur évaluation. En ce sens, le texte officiel pour l’enseignement du français au lycée, Les Orientations Pédagogiques Générales, semble esquisser les contours d’une nouvelle didactique de l’enseignement/apprentissage des langues, le français en l’occurrence, et ce en agissant sur trois paramètres : les objets d’enseignement/apprentissage, les corpus exploitables en classe, et enfin les démarches à mettre en place. Dans l’objectif de valoriser la langue-culture, le texte littéraire devient le support principal de la classe de langue au lycée. Cependant et pour ne pas enfermer l’apprenant dans « la culture savante », le texte invite l’enseignant à intégrer dans sa classe des « textes divers » .Ce sont des textes décontextualisés dont le choix dépend complètement du praticien, contrairement aux œuvres intégrales qui sont imposées par le ministère de tutelle. Les textes choisis devraient être plus ancrés dans les pratiques culturelles de nos lycéens comme pour le cas des documents visuels. Ces supports spécifiques devraient permettre aux apprenants de s’approprier « la culture partagée ».Or, ces supports sont quasi-absents dans nos classes depuis le début de la réforme. Cette contribution, et par le biais d’une enquête, développe quelques raisons de cette absence. Elle propose ensuite et en se basant sur des références didactiques, un parcours d’enseignement/apprentissage du FLE à partir du support iconique, parcours qui devrait valoriser une démarche interculturelle.
Mots-clés : objet/support d’enseignement /apprentissage- image et texte littéraire - didactique de l’image et interculturalité – fonction des supports en classe de langue

منذ عام 2002 خضعت كل المواد التي تدرس في السلك الثانوي التأهيلي في المغرب لمراجعات واسعة سواء في محتواها (برامج) أو طرائق تدريسها أو تقييمها ، وفي هذا الإطار فإن النص الرسمي لتدريس اللغة الفرنسية في المدرسة الثانوية رسم الخطوط العريضة التي تمكن من مقاربة جديدة لتدريس الفرنسية حيث أصبح النص الأدبي الوسيلة الرئيسية لتدريس هذه اللغة لكن وبهدف تمكين التلميذ من مختلف انواع ثقافة الآخر يسمح النص الرسمي بتوظيف نصوص اخرى .من اقتراح الأستاذ بعض السندات الأخرى كالصورة .لكننا لاحظنا شبه غياب هذه الوسيلة من أقسامنا منذ بداية الإصلاح سنحاول في هذه المساهمة شرح بعض أسباب هذا الغياب ثم سنقدم مقاربة ديداكتيكيي يعتمد على النص "الإيكوني" بالإضافة إلى النص الأدبي وذلك بهدف لتمكين التلميذ من ثقافة الآخر.

Since 2002, most of the subjects taught have undergone extensive revisions both in their content (programs) that their implementation modalities or those of their evaluation. In this sense, the official text for the teaching of French in high school, The General Teaching Guidelines seems sketch the outlines of a new didactic teaching / learning of languages, French in this case, and by acting on three parameters: the teaching / learning objects, body usable in the classroom, and finally the steps to set up. With the aim to enhance the language-culture, the literary text becomes the main language support class in high school. However, and not to confine the learner in "high culture", the text invites the teacher to incorporate in its class of "different texts" .This are decontextualized texts whose choice depends completely practitioner, unlike the integral works imposed by the ministry. The selected texts should be more rooted in the cultural practices of our students as in the case of visual documents. These specific substrates should enable learners to appropriate "shared culture" .or, these supports are almost absent in our class since the beginning of the reform. This contribution, and through an investigation, develops a few reasons for this absence. She then proposed and based on didactic references, educational courses / learning FLE from that specific media should promote an intercultural approach.
Keywords :Object / support teaching / learning- image and literary text - Didactic of the image and multiculturalism - according to the language classroom materials


    ●    Introduction

    ●    1 - Enseignement/apprentissage du FLE et support iconique au cycle secondaire qualifiant (lycée) au Maroc

    ●        1.1 - Contexte de l’enquête

    ●        1.2 - Présentation des résultats

    ●        1.3 - Analyse et interprétation des résultats de l’enquête

    ●    2 - Pour enseigner le FLE à partir d’un support iconique, esquisse d’une démarche didactique 

    ●        2.1 - Image et enseignement des langues

    ●        2.2 - Enseigner le FLE à partir d’une image, quelques repères théoriques

    ●    3 - Pour enseigner le FLE à partir d’une image, un tableau de peinture en l’occurrence : « Un enterrement à Ornans » de Courbet

    ●        3.1 - Esquisse d’une démarche didactique.

    ●        3.2 - Une séquence de prolongement

    ●        3.3 - Une séquence d’ouverture vers d’autres horizons culturels

    ●    Conclusion



Introduction

L’introduction de la littérature en classe de langue, devrait inscrire la discipline dans une triple perspective : linguistique, méthodologique et culturelle (MEN, 2007). Le texte officiel [1] invite également le praticien à intégrer dans sa classe des « textes divers ». Ces derniers devraient être plus ancrés dans les pratiques culturelles de nos lycéens comme pour le cas du support iconique.


Or, nous avons remarqué[2] que depuis le début de la réforme[3] ce support n’est presque plus présent en classe de langue. Alors, en partant du constat que les apprenants subissent de plus en plus l’immersion dans un univers où l’image est dominante, et qu’en conséquence 


« l’enseignement/apprentissage des langues n’est plus seulement linguistique, mais aussi culturel. Celui-ci ne pouvant être épuisé par le verbal nécessiterait d’autres codes comme l’image. », (V.Viallon, 2002 :.25) 


 Nous estimons qu’il s’avère urgent d’introduire une réflexion sur l’utilisation du document iconique comme porteur d’une « culture partagée » (Galisson, 1988), par opposition au texte littéraire représentatif plutôt de la « culture savante ». (Galisson, 1988).


Il fallait d’abord comprendre pourquoi ce support n’est pas suffisamment présent dans notre classe de langue.   


 Nous avons avancé deux hypothèses qui en fait s’interpellent :


La première hypothèse est d’ordre didactique .En fait, vu que le support principal de la classe de langue au Maroc depuis le début de la réforme est le texte littéraire intégral, pour exploiter tout autre support, il faudrait bien cibler les finalités de son intégration en classe. Des liens devraient être tissés avec le texte littéraire préconisés de façon à permettre à l’apprenant de s’approprier aussi bien« la culture savante »que la « culture partagée ».Cette démarche suppose une conception didactique de situations d’enseignement /apprentissage auxquelles nos enseignants sont peu habitués et ne sont pas suffisamment formés.


La deuxième hypothèse est en relation avec l’absence d’une démarche méthodologique dans le texte officiel concernant l’exploitation pédagogique du document iconique. Et quand on sait que rares sont les enseignants formés à une pédagogie de l’image, on comprend toutes les difficultés que pourraient poser son exploitation dans les pratiques de classe. 


Nous avons alors mené notre enquête par le biais d’un questionnaire pour vérifier la validité de nos hypothèses.


Dans cette contribution, nous allons étudier les résultats de cette recherche. Ce qui nous amènera à analyser de prés le texte officiel de 2007. Il faudrait en fait expliciter la place attribuée au support iconique dans la classe de français au cycle secondaire (lycée) au Maroc, démontrer si les domaines d’enseignement où tout enseignant pourrait intégrer l’image sont soulignés ,et voir dans quelle mesure les objectifs de cette exploitation sont précisés .Et nous montrerons enfin que  les démarches à mettre en place pour traiter ce support spécifique et faciliter son accès ne sont pas véritablement explicitées dans le texte officiel.


Dans notre dernière partie, et par le biais d’une réflexion théorique et méthodologique, nous tenterons d’esquisser les contours d’une démarche didactique, visant l’introduction de l’interculturel, pour approcher le support iconique, en relation avec le texte littéraire, en classe de langue. Le parcours proposé s’inspire, pour la conception des activités de réception, de la démarche théorique développée par Suzanne Richard (1999) et qui évolue en plusieurs étapes. Pour concevoir les activités de production nous nous sommes référés aux récentes recherches en didactique des langues-cultures basées sur l’implication du sujet/apprenant. Le dispositif final proposé prend évidemment en considération les spécificités de notre contexte


1 - Enseignement/apprentissage du FLE et support iconique au cycle secondaire qualifiant (lycée) au Maroc

1.1 - Contexte de l’enquête 

Nous avons soumis ce questionnaire à 40 enseignants exerçant dans un nombre de lycées publics situés à Meknès et ses alentours. Les items devraient nous permettre de savoir si avant la réforme l’image était un support souvent exploité en classe vu sa présence dans la plupart des manuels scolaires. Ensuite, il fallait comprendre comment procèdent les enseignants qui après 2002 exploitent l’image dans leurs classes. Enfin, nous avons jugé pertinent de demander aux praticiens qui construisent des séquences[4] d’enseignement/apprentissage à partir de ce support spécifique d’expliciter leurs démarches.


1.2 - Présentation des résultats

- Depuis combien d’années enseignez-vous ?  90% plus de 16 ans

- Quand vous travailliez à partir du manuel, l’image faisait-elle partie des supports exploités en classe ?   94% oui

- Depuis 2002, est-ce que vos proposez à vos élèves des séquences sur l’image ?

Oui 16%

Non 84%

- Si oui, quelles compétences vous ciblez ? Les 16%qui ont dit oui n’ont pas rempli cette case.


- Si non, c’est pour :


- des problèmes d’ordre méthodologique 88%


- autres : contrainte du temps 12%


Une première lecture des réponses des enseignants confirment parfaitement nos hypothèses de départ. En effet, quand nos enseignants avaient à leur disposition des manuels, l’exploitation de l’image était plus présente en classe. Le praticien avait à sa disposition les supports, les démarches et les diverses activités à mettre en œuvre à partir de l’image proposée. Or, à partir de 2002, il n y’a plus que le texte officiel comme « référence ».


Quelles réflexions donc sur l'utilisation du support iconique pour l'enseignement/apprentissage des langues et des cultures offre le texte officiel marocain ? Quelles activités pédagogiques impliquant des documents visuels sont-elles à mettre en œuvre ? Nous allons essayer de donner des éléments de réponse.    


1.3 - Analyse et interprétation des résultats de l’enquête

L’image dans les orientations pédagogiques générales (MEN, 2007) 


Dans les orientations pédagogiques pour l’enseignement du français au cycle secondaire qualifiant(2007) l’image fait partie des supports que tout enseignant est appelé à exploiter dans sa classe. « On utilisera des images fixes et mobiles pour apprendre aux élèves à dégager les spécificités du message iconique et à mettre en relation le langage verbal et le langage visuel » (MEN, 2007 ,p.8).Ainsi et comme support didactique , parmi Les  images à utiliser  par le praticien, on distinguera les images fixes (photographie, reproduction de peinture, bande dessinée, affiche publicitaire, couverture de livre...) et les  images animées (film, bande-annonce, spot publicitaire, émission télévisée, reportage...). L'image peut être visuelle ou comporter du texte.


Comme support d’une activité pédagogique, l’image peut être exploitée au cours d’une activité de lecture : « la lecture s’intéresse également(en plus de l’œuvre intégrale) à l’étude de l’image. »(MEN, 2007, p.8).Elle peut être également support et objet de travail au cours des activités orales ou encadrés. Le texte officiel précise dans ce sens que l’apprenant peut « constituer des ateliers d’écriture participer à des travaux divers à partir de l’audiovisuel » (MEN, 2007, p.9).


Donc, l’image dans les orientations pédagogiques générales est conçue d’une part, comme objet d’enseignement dont l’objectif est de s’approprier les spécificités du langage iconique par rapport au verbal, tout en mettant en valeur ; le cas échéant ; les diverses relations qu’il peut y avoir entre les deux codes. D’autre part, elle est considérée comme simple support déclencheur de diverses compétences scripturales ou orales. Elle peut également être un outil permettant de développer des compétences d’ordre méthodologique puisqu’elle offre l’opportunité du travail en autonomie. Elle a donc plusieurs statuts, joue plusieurs fonctions et peut en conséquence subir plusieurs usages à condition de mettre en place des démarches appropriées pour optimiser son intégration dans les pratiques de classe.


Image et « progressions » 


Les « progressions » sont des documents qui devraient compléter le texte officiel. Elles développent des propositions pratiques de dispositifs d’enseignement /apprentissage à partir des corpus préconisés. Elles devraient en principe, concernant l’exploitation pédagogique de l’image en classe de langue, expliciter à travers les activités proposées les démarches conceptualisées dans le texte officiel. Et en effet, ces documents proposés aux praticiens semblent esquisser un certain parcours dans l’enseignement apprentissage du FLE à partir de l’image dans tout le cycle secondaire qualifiant. Il semblerait qu’il y’ait une certaine correspondance entre le niveau des compétences des apprenants et le document visuel programmé. Ainsi, pour les troncs communs, (première année du lycée) c’est surtout le travail sur l’image fixe qui est mis en valeur puisque l’objectif est d’initier à la notion de représentation et aux notions de dénotation et de connotation. L’image a une fonction psychologique de motivation et une fonction référentielle. Pour la première année du baccalauréat (2ème année du lycée), ce qui et préconisé ,c’est l’exploitation de l’image animée à travers une comparaison entre un roman et  une adaptation audiovisuelle .Enfin ,et pour  un public en  deuxième année baccalauréat, un niveau assez avancé, le praticien peut mettre en œuvre des activités de classe en exploitant des œuvres d’art, un tableau de peinture en l’occurrence.


Tous les supports sont proposés pour une exploitation dans le cadre d’activités de production ou de travaux encadrés (et pas dans le cadre d’activités de lecture). L’enseignant peut dans ce sens proposer à l’apprenant de créer des documents iconiques (l’image fixe/tronc commun), de présenter des fiches de lecture ou des comptes-rendus de films pour les niveaux supérieurs.


Deux remarques qui ciblent des défaillances aussi bien d’ordre didactique que méthodologique sont à souligner dans « les parcours » proposés. Tout d’abord, nous relevons un décalage entre la conception didactique de l’approche de l’image en classe proposée dans le texte officiel ; et qui insiste sur le développement des compétences relatives à la réception et à la production ; et la démarche pédagogique présentée dans les progressions qui ne cible que des activités de transfert. Ces dernières nécessiteraient à notre sens des compétences spécifiques que les apprenants doivent en principe construire en classe, à travers les activités de réception. Comment, par exemple, mettre en œuvre une séance de production  de textes  créatifs  à partir d’un document visuel que l’apprenant ne découvre qu’au cours de cette même séance destinée à l’exercice de transfert? Ce genre d’activités exigerait une certaine connaissance des notions préliminaires à l’analyse formelle de l’image et une certaine sensibilisation à ses aspects techniques, plastiques et culturels, vu les spécificités du document visuel. Ce qui nous conduirait à notre seconde remarque : ne serait-il pas plus cohérent, plus pertinent et surtout plus formateur d’exploiter ce document visuel d’abord en activité de lecture et ce pour faciliter sa compréhension, reconnaitre ses spécificités relatives notamment à ces dimensions culturelles et interculturelles ? En effet,


« dans les tâches complexes, notamment stratégiques comme l’écriture, les savoirs disponibles constituent des ressources essentielles » (Halté, 1992, p.110).


Escamoter les activités de réception dans un parcours d’enseignement /apprentissage des langues à partir du document visuel, c’est réduire ce support à un simple prétexte pour améliorer la maitrise de la langue cible. Or, à notre sens, il serait urgent de le traiter comme un objet d’analyse, ce qui devrait convoquer une démarche méthodologique qui est passée sous silence dans Le texte officiel.


Nous comprenons donc mieux les raisons qui font que la plupart de nos praticiens ne recourent que rarement à l’exploitation de l’image dans leur classe. 


Comment donc approcher une image, en ciblant les compétences scripturales, orales et méthodologiques de l’apprenant, et sans négliger toute la portée culturelle que tout document visuel véhiculerait ? Quels postulats théoriques peuvent aider à esquisser des repères pour intégrer ce support et permettre d’aboutir à son utilisation optimale dans une classe de langue ?


2 - Pour enseigner le FLE à partir d’un support iconique, esquisse d’une démarche didactique

De tout temps l’image a fait partie des moyens utilisés en classe de langue et ses diverses exploitations en classe dépendent étroitement de l’évolution de ses techniques et de ses supports (papier, télévision, cinéma et enfin multimédia).


Il y’a en effet selon J.P.Robert (2005) quatre sortes d’images en didactique :


- L’image pure et simple qui reproduit une personne, un objet ou encore un lieu.


- L’image codée, chargée de sens et de culture, et c’est bien le cas du tableau de peinture.


- L’image situationnelle qui reproduit une situation donnée.


- l’image fictionnelle


Essayons d’abord de voir brièvement le rôle et la fonction de l’image dans les différentes méthodologies d'enseignement des langues.


2.1 - Image et enseignement des langues 

En ce qui concerne son intégration dans la classe de langue on peut distinguer trois grandes périodes :


Dans les années 60 - 75 du siècle dernier, les méthodes structuro-globales audiovisuelles(SGAV) utilisent les images en mettant en valeur leur intérêt didactique, de l’image –traduction à l’image situationnelle où l’apprenant est invité à partir d’une même situation ou d’un même contexte à produire. Elle est conçue comme un simple prétexte pour réaliser des productions verbales. Elle joue le rôle de déclencheur d’activités langagières.


A la fin des années 70 avec l’avènement des approches communicatives l’image comme document authentique est largement exploitée en classe de langue. La mise en place d’approches spécifiques, notamment l’approche globale, mettent en valeur quelques particularités du code iconique.


Enfin depuis quelques années, la vidéo et surtout le multimédia sont de plus en plus intégrés dans les classes. 


« On peut voir là le signe d’une double évolution : d’une part l’enseignement/apprentissage des langues n’est plus seulement linguistique, mais aussi culturel. Celui-ci ne pouvant être épuisé par le verbal  nécessiterait d’autres codes comme l’image. » (V.Viallon, 2002, p.25).


Toute exploitation du document visuel en classe de langue devrait donc nécessairement s’inscrire dans une triple perspective, linguistique certes mais aussi méthodologique et culturelle. Notre réflexion s’inscrit dans cette perspective et se base sur le postulat qui présente les activités de réception, dans lesquelles l’apprenant est acteur de son propre apprentissage, comme fondamentales dans tout dispositif didactique à concevoir autour d’une image, un tableau de peinture en l’occurrence


Pour expliciter notre propos, des repères théoriques s’imposent. Ils nous aideraient à mieux expliquer les fondements théoriques de notre démarche didactique.


2.2 - Enseigner le FLE à partir d’une image, quelques repères théoriques

La méthodologie de lecture proposée par Annette Richard (1999), qui certes travaille sur le tableau de peinture plus précisément développe trois niveaux de lecture.


 « Au premier niveau d’interprétation, le spectateur s’appuie sur des indices qui réduisent l’étrangeté de l’objet en le ramenant à du déjà connu : le discours narratif. » (Richard, 1999, p.6)


L’apprenant est invité à lire l’image comme un récit, une histoire. La « transparence » de l’image est ainsi mise en valeur. Après avoir identifié les formes, les lignes et les couleurs et ce qu’ils représenteraient (un humain, un objet...), il faudrait repérer les événements et souligner les caractères et les divers sentiments des personnages représentés.


Une deuxième lecture plus distanciée, plus profonde devrait permettre de considérer ce support comme étant « chargé de significations autres que celle d’une pure copie du monde réel. » (Richard, 1999, p.7) Le support iconique loin d’être un simple reflet du monde réel est aussi porteur d’une signification plus chargée. Une autre conception de l’iconique est alors mise en exergue, « sa reconnaissance comme langage ayant ses règles internes de structuration des signes » (Auger et al, 2009, p.203).Les connaissances conceptuelles concernant les contenus de l’image exploitée devraient être construits dans cette étape. Elles participeraient, à notre sens, au développement des compétences linguistiques et textuelles de l’apprenant, et l’aideraient dans l’appropriation du mode de fonctionnement de ce type de document et en conséquence préparaient le transfert.


 Enfin, au niveau suivant, l’image pourrait être lue comme expression d’une culture,


 « comme un reflet plus ou moins lucide d’une époque, d’une culture, d’un artiste et demande au spectateur de nouvelles compétences. » (A.Richard, 1999.p.7) 


Ce niveau de lecture exige la contextualisation de l’image exploitée. Elle est perçue comme reflétant les caractéristiques d’une époque, d’une classe sociale, bref d’une culture donnée. C’est une ouverture sur l’Autre, et une invitation à une réflexion sur sa propre culture. En effet, elle délivre « un ensemble de signes culturels par le biais des codes qu’il s’agit de décrypter. » (Pautzet et al ; 2002, p.171).Ces codes peuvent être « socioculturels », les vêtements, les coiffures ou encore les gestes et les regards qui nous renseignent sur les relations interindividuels dans une société donnée. Les codes « chromatiques » et « morphologiques » peuvent aussi être fortement indicateurs des signes culturels propres à un contexte particulier. Le travail sur ce niveau exige en classe de langue un travail de recherche en réponse à des questions soulevées par les apprenants et ce pour ne pas transformer la classe de langue en classe d’histoire littéraire ou artistique.


 Dans ce sens, tout en s’inspirant des ces trois niveaux de lecture, nous allons esquisser les contours d’une démarche pour mettre en œuvre des activités de réception. L’implication de l’apprenant est fondamentale dans l’intégration de chaque niveau d’approche.


3 - Pour enseigner le FLE à partir d’une image, un tableau de peinture en l’occurrence : « Un enterrement à Ornans » de Courbet[5]

« L’étude de l’image ne va pas sans une appréhension méthodique préalable. Les élèves peuvent sentir certaines choses, les exprimer plus ou moins adroitement, mais ils ne peuvent, sans une aide compétente, se livrer correctement à ce travail » (Thiébaut, 1997 :211).En conséquence le dispositif didactique que nous proposons suppose un encadrement qui ferait surgir les réactions personnelles et subjectives des apprenants (Langlade,2007)avant de les inscrire progressivement dans une perspective méthodologique et culturelle, l’objectif étant de l’approcher d’une autre culture. Les diverses compétences aussi bien langagières, cognitives que psychoaffectives devraient être développés à travers la mise en place d’activités de réception et de production qui tisseraient des liens avec les autres composantes de la progression annuelle basées principalement sur le texte littéraire.


3.1 - Esquisse d’une démarche didactique

Pour concevoir les activités de transfert, nous nous sommes basés sur les récentes recherches en didactique des langues, qui tout en ciblant la construction du lecteur/scripteur (Langlade 2007, Dufays 2005) mettent en valeur la relation étroite entre les activités de réception et celles relatives à la production. Enfin, et pour ce qui est des activités proposées dans le dispositif didactique conçu, nous respectons évidemment les domaines d’enseignement préconisés par le texte officiel marocain. Nous voulons, en effet, montrer comment dans une classe de langue, où le texte littéraire est l’objet et support de base de l’enseignement /apprentissage, l’image, peut être une autre entrée motivante et impliquante dans la culture de l’Autre. C’est une autre façon d’approcher l’altérité.


L’image servirait de « stimulateur verbal », d’« impulseur pour créer du discours » (Galisson 1980 : 100). Les apprenants prennent position sur l’image et sont amenés à confronter leurs points de vue avec leurs pairs autour de leurs premières impressions sur l’image proposée. Notre premier objectif étant « que les apprenants se projettent dans l’image [...] qu’ils entament entre eux un dialogue qui les concerne » (ibid. : 98). Et une fois face à un obstacle d’interprétation, ils sont invités à faire des recherches, d’où la mobilisation de leurs compétences méthodologiques, pour mieux lire et mieux communiquer. Puisqu’il recèle un contenu culturel, le support iconique devient moyen de médiation permettant de dialoguer avec l’Autre.


Sans transformer cette activité de la classe de langue en cours magistral, le travail sur le contexte culturel devrait être un outil découvert par l’élève pour décoder l’image, les valeurs qu’elle véhicule et les confronter avec son propre contexte. Les objectifs de son intégration dans les pratiques de classe ne se réduiraient pas au fait d’amener l’apprenant à construire de nouvelles compétences linguistiques méthodologiques et culturelles, mais lui permettrait également de revisiter sa propre culture, s’ouvrir sur les cultures francophones, et construire à long terme des compétences interculturelles.


3.2 - Une séquence de prolongement

Pour concevoir le dispositif proposé, nous nous étions d’abord inspirés du texte officiel. En effet, il offre des repères qui nous ont permis de bien définir et de mieux articuler les divers éléments organisateurs de l’enseignement/apprentissage du français au lycée :


« L’enseignement/apprentissage du français au cycle qualifiant s’inscrit dans une démarche de projet [...] Le module est un dispositif de mise en œuvre du projet pédagogique [...] Le module est organisé en séquences [...] La séquence est un ensemble d’activités [...] successives, cohérentes et interdépendantes. Celles-ci peuvent être effectuées en classe et hors de la classe suivant une démarche décloisonnée dans l optique de développer chez l’élève les compétences voulues. » (MEN, 2007).


Le dispositif d’enseignement/apprentissage à partir de ce tableau de peinture que nous proposons prend en considération les champs d’enseignement préconisés par le texte officiel de 2007 et qui sont l’activité de lecture, l’activité de langue, l’activité de production orale, l’activité de production écrite et les travaux encadrés. Il entretient un rapport étroit avec une œuvre intégrale au programme : le Père Goriot de Balzac(le thème de la mort et de l’enterrement). Ce roman est destiné aux élèves de la terminale.


Il est en fait souligné dans ce texte que tout projet pédagogique


 « doit s’articuler aux différents données du curriculum [...] les champs d’enseignement/apprentissage(...) les supports : les œuvres littéraires proposées et les documents suscitant l’intérêt des élèves » (MEN, 2007, p.6).


Nous avons donc situé notre séquence (Descotes, 1993) sur ce texte divers[6], le tableau de peinture de Courbet, ainsi :


Module : Lire un roman réaliste (second semestre)


Séquence 1 autour d’une
image fixe

Séquence 2 autour du Père
Goriot

Séquence 3 autour d’un tableau de peinture

Durée : une semaine (4 séances)


Durée : 6 semaines


Durée : 4 ou 5 séances


Compétences visés :

- Consolider la lecture de l’image

fixe.

- Faire le transfert à partir de cet objet d enseignement spécifique

- Faciliter la lecture du paratexte d’une œuvre intégrale.


Compétences visés :


Rendre l'élève capable de faire le transfert à partir d'une œuvre intégrale romanesque.

Rendre l'élève capable de contextualitser une œuvre romanesque.

Compétences visés :

- Initier à quelques spécificités du langage iconique

- sensibiliser aux facteurs culturels qui interviennent dans sa construction

- Inscrire un thème dans de nouvelles perspectives


Ce dispositif d’enseignement/apprentissage du FLE à partir d’un document visuel spécifique est un prolongement du travail déjà entamé au cours de la séquence sur le roman de Balzac[7].


Au cours de la séance de lecture on insistera sur le thème dominant et comment le code iconique le construit. L’enseignant devrait chercher d’abord à mobiliser les compétences communicatives des apprenants. Il devrait assurer le rôle d’animateur et non d’expert en arts plastiques, cherchant à transmettre des informations sur le tableau. Aucune information n’est à transmettre que ce soit sur l’auteur ou le contexte de la réalisation de l’œuvre picturale. Les signes plastiques doivent être pris en considération, dans la construction du sens du document visuel, sans tomber dans une approche « artistique ». Cette dernière nécessiterait une parfaite maitrise des codes picturaux, ce qui est loin d’être l’objectif de notre dispositif .La scène d’enterrement du Père Goriot, déjà analysée dans la cadre de la séquence dédiée à la lecture de l’œuvre intégrale romanesque, serait de temps à autre évoquée pour sensibiliser à la notion de réalisme et comment elle se construit à travers deux langages le pictural et le littéraire.


En commençant par une lecture subjective (Langlade 2004), les connaissances de type historique devraient être progressivement intégrée (notamment la Révolution de 1793) en faisant appel à une lecture plus distanciée, pour orienter la lecture, l’approfondir et la contextualiser.


3.3 - Une séquence d’ouverture vers d’autres horizons culturels 

Les séances de production écrites et de travaux encadrés devraient être un moment propice pour créer un espace de comparaison, de réflexion à nourrir par un travail de recherche sur le thème soulevé : « la mort et les rituels de l’enterrement ici et ailleurs ». L’exploitation pédagogique offrirait l’opportunité de transformer la classe de langue en espace de comparaison entre la culture véhiculée par les supports exploités et notre contexte culturel ce qui permettrait de repenser ses valeurs, à la recherche de ce qui fait nos différences mais aussi permettrait de rencontrer « l’éthos commun » (Rivenec, 2003 : 48)


Activité de classe

Activités hors de la classe à effectuer par l’élève

Activité de lecture : « un enterrement à Ornans » de Courbet

Faire des recherches
Chercher des images autour du thème : « l’hommage rendu aux morts dans les pays francophones » pour les commenter et les discuter avec le groupe-classe.


Activité de travaux encadrés : l’hommage dans les pays francophones
Activité ce production écrite :
Sujet : « Entre la scène d’enterrement de Goriot et celle peinte par Courbet, ou celle à laquelle vous aviez assisté, laquelle vous a le plus affectée ? »
Argumentez votre point de vue.


 


Conclusion

 « L’enseignement de la culture française tant savante que populaire, tant historique que synchronique, ne peut se passer de l’image. »(Vialon, 2002 :2), en conséquence l’exploitation de ce document spécifique en relation avec un texte littéraire, devrait être une entrée indispensable en classe de langue où l’on devrait former « à l’ouverture, (à) rendre l’étranger moins étrange» (Aden, 2008 :13).


Toutefois, et pour que tout apprenant puisse connaitre un autre fonctionnement des langues-culture et gagnerait en autonomie face au langage de l’image, l’enseignant ; en classe de langue ; devrait concevoir un dispositif d’enseignement/apprentissage qui confèrerait une double fonction à l’image, support d’enseignement et objet d’apprentissage, L’apprenant devrait garder dans les deux situations la même posture, celle du sujet autonome.


Approcher autrement ces supports en classe, c’est se rapprocher de l’altérité, et c’est une étape indispensable dans un parcours d’éducation, de formation, et de construction du citoyen du monde.




 Aden, Joëlle et al, (2008), Apprentissage des langues et pratiques artistiques - Créativité, expérience esthétique et imaginaire ; Collection IUFM - Ile de France.

 Auger.N et al, (2009.), Pour une didactique des imaginaires dans l'enseignement-apprentissage des langues étrangères, Editions L'Harmattan.

 Beacco, J.C., (2007), L’approche par compétences dans l’enseignement des langues. Paris : Didier.

 Galisson, R. (1980), D’hier à aujourd’hui la didactique générale des langues étrangères. Du structuralisme au fonctionnalisme. Paris : CLE international.

 Halté.J.F, (1992), Didactique du français, Paris.PUF.

 Pauzet.A et al, (2002)., Habitudes culturelles d’apprentissage dans la classe de Français Langue Etrangère (F.L.E) L'Harmattan.

 Richard, A, (1999), Méthodologie de la lecture des œuvres picturales, plafonnai, Lisboa, Edictes Colibri, n. º 2, pp. 9-22.  

  Robert.J.P, (2008.), Dictionnaire pratique de didactique du FLE, Editeur ophrys, Paris.

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Référence électronique

 Catherine Muller, « La photographie, un outil pour communiquer en classe de langue », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité [En ligne], Vol. XXXI N° 1 | 2012, mis en ligne le 15 février 2012, consulté le 11 Janvier 2015. URL : http://apliut.revues.org/2224 ; DOI : 10.4000/apliut.2224

 SADIQUI, Mina, Séquence au lycée (classe FLE) du dispositif didactique à l'expérimentation pédagogique. 2009, AUF.
http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/638/




 [1] Ministère de l’Enseignement National, Les orientations pédagogiques générales pour l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant, 2007.

 [2] L’institution où nous exerçons procure au public cible une période de formation en milieu professionnel .Les étudiants des filières de qualification aux métiers de l’éducation ont alors l’occasion de faire un stage d’observation et d’effectuer un stage de pratique accompagnée .Nous encadrons régulièrement ces stages pratiques.

 [3] En 1999, le système éducatif marocain va subir une grande reforme soutenue au plus haut niveau de l’état en réponse aux nouveaux besoins sociétaux, instituée par « La Charte Nationale d’Education et de Formation »et éditée en 1999 par la Commission Spéciale Education et Formation [http://www.men.gov.ma]

 [4] Descotes, la séquence didactique en français, 1993.Bertrand-Lacoste.

 [5] Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet, 1850, Huile sur toile, 315 x 668, Paris, Musée d'Orsay.

 [6] Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet, 1850, Huile sur toile, 315 x 668, Paris, Musée d'Orsay.

 [7] Cf. SADIQUI, Mina, Séquence au lycée (classe FLE) du dispositif didactique à l'expérimentation pédagogique. 2009, AUF. http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/638/



Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet, 1850, Huile sur toile, 315 x 668, Paris, Musée d'Orsay.


Pour citer cet article:

Mina SADIQUI, « Supports et interculturalité en classe de langue. Cas du FLE au lycée au Maroc », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.242-263




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