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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


Le texte littéraire et son potentiel interculturel dans l’enseignement du FLE : Réalité et perspectives

Soumia AOUNALLAH
Université de Mostaganem (Algérie)
Amir MEHDI
Université de Tiaret (Algérie)

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012
Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Citation - Téléchargement

L’enseignement en classe de FLE, se faisant par le biais de textes en général et par le texte littéraire en particulier,semble être unterrain fluctuant dans lequel l’apprenant est conduit souvent à mobiliser ses ressources cognitives pour s’ouvrir à de nouvelles frontières culturelles, représentationnelles et identitaires.Une nouvelle dimension symbolique en interaction avec l’Autre s’impose, impliquant une nouvelle reconfiguration identitaire.
Cependant, cette dimension reste inexploitée dans nos classes privant ainsi l’apprenant de la découverte de nouveaux espaces imaginaires et de l’acquisitiond’un code linguistiquequi ne serait pas vidé de sa substance culturelle. Cet article tente d’étudier les raisons empêchant la prise en charge de la dimension interculturelle lors de l’usage du texte littéraire et la façon d’y remédier.
Mots clés : compétence interculturelle, lecture littéraire, compréhension/interprétation(s), identité/altérité.

إن تدريس النصوص على وجه العموم، والأدبية منها على وجه الخصوص في قسم اللغة الاجنبية، يعتبرميدانا غالبا ما يؤدي بالمتعلم إلى تعبئة موارده المعرفية للتفتح على حدود ثقافية و تصورية وهويات جديدة . ينبثق عن ذلك بعد رمزي جديد يفرض نفسه في التفاعل مع الآخر و يفضي الى اعادة تشكيل الهوية ، ومع ذلك ، يبقى هذا البعد غير مستغل مما يؤدي لحرمان المتعلم لاكتشاف مساحات جديدة من تصورات الاخر ومن اكتساب منظومة لغوية غير مفرغة من كنهها الثقافي. يحاول هذا المقال دراسة أسباب عدم استخدام البعد التثاقفي في النص الأدبي وكيفية علاج ذلك
الكلمات المفتاحية :الهويةوالغيرية - الكفاءة التثاقفية - القراءةالأدبية - الفهم - التأويلات

FLE classroom teaching, making by texts in general and literary texts in particular seems to be a fluctuating field in which the learner is often leads to mobilize cognitive resources to open up new cultural, representational and identity boundaries . A new symbolic dimension in interaction with Other is required, involving a new identity reconfiguration.
However, this dimension remains untapped in our classrooms depriving the learner to discover new imaginary spaces and the acquisition of a linguistic code that would not be emptied of his cultural substance. This article attempts to study the reasons preventing the management of the intercultural dimension in the use of the literary text and how to remedy them.
Keywords: intercultural competence, literary reading, understanding-interpretation(s), identity, otherness


    ●    Introduction

    ●    1 - L’interculturel et la compétence interculturelle.

    ●    2 - Le texte littéraire et l’expérience de l’altérité.

    ●    3 - Matériel et choix méthodologique.

    ●    4 - Résultats.

    ●    5 - Interprétation et discussion.

    ●    6 - Pour une lecture littéraire.

    ●        6.1 - Compréhension et Interprétation.

    ●        6.2 - Interprétation et ouverture sur l’Autre.

    ●        6.3 - Quelle littérature choisir ?.

    ●    Conclusion



Introduction

L’apprenant d’une langue étrangère développe de nos jours une curiosité qui dépasse le questionnement traditionnel, portant uniquement sur la maîtrise du fonctionnement linguistique de la langue apprise,  pour s’ouvrir à de nouvelles interrogations touchant à la notion de l’Autre, son identité, sa culture et ses représentations. Autrement dit, cet apprenant manifeste une envie d’intégrer à son apprentissage des composantes qui lui permettent d’acquérir à la fois la langue et le système de valeurs qu’elle véhicule.


Seule une didactique de l’interculturel est capable d’assouvir une telle soif pour asseoir un tel apprentissage du Divers. Ce dernier ne peut en aucun cas se concevoir comme une accumulation de savoirs culturels statiques et figés ; il constitue plutôt des flux qui se rencontrent,  s’entrecroisent et s’enrichissent comme l’affirme  Edouard Glissant « C’est les différences qui se rencontrent, s’ajustent, s’opposent, s’accordent et produisent de l’imprévisible » (1990 :P.20). Il s’agit pour l’apprenant de dépasser les frontières de sa propre culture pour composer avec la(es) culture(s) de l’Autre afin de reconfigurer son identité sans cesser pour autant d’être soi-même.


De ce fait, le texte littéraire semble être le support idéal pour abriter une telle expérience de l’altérité en vue de munir l’apprenant d’une compétence interculturelle. Bien qu’il soit inséré dans nos pratiques enseignantes en Algérie, ce type de support ne parvient toujours pas à favoriser l’émergence d’un dialogue pluriculturel dans nos classes de langue. Nous nous interrogeons dans cet article sur les raisons qui nous empêchent d’atteindre un tel objectif et nous tenterons de répondre à la question suivante : De quelle manière doit-on instrumentaliser le texte littéraire pour le mettre au profit de l’acquisition d’une compétence interculturelle ?


Nous postulons que le traitement réservé au texte littéraire dans nos programmes d’études ne prend pas en considération son potentiel culturel. Il serait utilisé - au même titre que les autres types de texte- seulement comme un espace d’apprentissage fonctionnel de la langue. Cet usage résulterait de l’absence de pratiques pédagogiques permettant une didactisation interculturelle de ce type de support à laquelle s’ajouterait le manque d’une formation adéquate pour le personnel enseignant.


Notre travail abordera en premier lieu, les spécificités qui font du texte littéraire le support qui se prête le mieux à un enseignement interculturel. Nous évoquons ensuite les difficultés inhérentes à son exploitation au sein de notre système éducatif pour finir avec quelques propositions visant à fructifier et optimaliser sa rentabilité interculturelle.


1 - L’interculturel et la compétence interculturelle

Pour baliser le chemin de notre réflexion, il semble adéquat d’aborder  en premier lieu cette notion de compétence interculturelle qui a réussi dans un temps record à s’imposer comme une nouvelle donne indispensable à tout apprentissage d’une langue étrangère. Ce qui accorde toute sa spécificité à cette notion, c’est l’ajout « interculturel » : Concept récent et révolutionnaire utilisé pour la première fois aux Etas Unis d’Amérique durant les années soixante dans les travaux de l’anthropologue Edward T. Hall. Le concept est rapidement repris et utilisé dans d’autres domaines scientifiques tels que les sciences de communication et les sciences de l’éducation avant de devenir lui-même une spécialité ayant sa place dans les chaires universitaires.


L’importance de la compétence interculturelle est de plus en plus ressentie avec le nouveau besoin qu’a créé l’état actuel du monde marqué par la mondialisation et l’abolition des frontières entre les cultures. Ce besoin est celui d’une communication efficace et inaltérée car on a remarqué que lors d’une communication entre deux personnes appartenant à deux aires culturelles différentes, le destinataire a tendance à interpréter le message selon ses propres codes culturels parce qu’il ignore ceux du destinateur. Cette interprétation modifie le message et est susceptible de créer des problèmes d’intercompréhension.


La compétence interculturelle a pour objectif d’éviter ce genre de distorsion en initiant le locuteur à la culture de l’Autre. C’est la raison pour laquelle elle se définit comme « la capacité d’interpréter les actes de communication intentionnels (paroles, signes, geste) et inconscients (langage du corps) et les coutumes d’une personne issue d’une culture différente de la nôtre. L’accent est mis sur l’empathie et la communication. Le but est de prendre conscience que, à partir de leurs propres cultures, les gens font des suppositions à propos des comportements et des croyances des gens d’autres cultures » (Toussaint, 2010 :P.150).


La compétence interculturelle vise donc à munir l’individu d’une capacité lui permettant d’aller de sa culture d’origine vers celle(s) de(s) l’Autre(s) ou l’inverse  sans qu’il y ait survalorisation ou sous-estimation de l’une ou de l’autre. Il ne s’agit pas non plus d’unifier ou d’annuler les différences culturelles mais de voir comment les cultures en présence peuvent« se toucher fraternellement » (Khelifi, 2007 : P.107) pour agir l’une sur l’autre et se transformer mutuellement afin de créer cet« imprévisible » dont parle Glissant dans la citation mentionnée plus haut.


En l’absence de cette compétence, l’apprentissage d’une langue étrangère s’avère donc inefficace. C’est la raison pour laquelle didacticiens, pédagogues et éducateurs insistent tous sur la nécessité de l’intégrer dans les programmes d’apprentissage. Ce souci de prendre en charge la dimension interculturelle de l’apprentissage d’une langue étrangère , dimension sous estimée dans notre système éducatif algérien malgré les recommandations explicites. On peut lire par exemple dans le Programme de 1ère As « Doter les apprenants d’un outil linguistique performant, permettant le plus de transactions possibles par la prise en compte de toutes les composantes de la compétence de communication car l’acquisition d’une langue étrangère ne peut pas se réaliser efficacement si on distingue l’aspect utilitaire de l’aspect culturel. Une langue maitrisée est un atout pour la réussite professionnelle [...]et le moyen le plus objectif de connaissance de l’Autre à travers une réflexion entretenue sur l’identité/altérité’’.(Programme 1ère année AS, 2005 : P.24)


2 - Le texte littéraire et l’expérience de l’altérité

Le texte littéraire est unanimement reconnu comme le support qui sied le mieux à un enseignement intégrant cette perspective interculturelle. En effet, ce type d’écrit en plus d’être un réservoir de faits de langue exploitables en classe, regorge de données culturelles qui offrent à l’apprenant la possibilité d’aller à la rencontre  de l’ Autre à travers l’exploration de son univers symbolique[1].


Le texte littéraire véhicule et initie donc à une « expérience du monde » propre à une société donnée comme l’affirme Besse« Toute société développe, par réflexion sur son expérience du monde et du langage des savoirs où elle codifie cette expérience et qui concoure à sa transmission aux générations suivantes. La littérature orale,ou écrite, parce qu’elle résulte d’un travail sur cette expérience nous parait être un de ces savoirs, peut être le premier, car que seraient la religion, le droit, la morale ou même la grammaire sans les textes littéraires qui les fondent, les représentent ou les exemplifient »(Besse, 1991 :P.53).


L’apprenant face au texte littéraire se trouve dès lors en présence d’une expérience du monde qui lui est tout à fait inhabituelle car elle ne correspond pas toujours à la sienne. Cette confrontation avec l’inexploré ne peut qu’attiser sa curiosité et augmenter son envie de mieux connaître l’Autre. C’est le désir de l’altérité« L’Autre est le ressort par excellence de la création littéraire, et si l’expérience de l’altérité est une finalité de l’éducation, on trouvera dans la littérature de nombreux textes-prétextes » (Abdallah-Pretceille& Porcher, 1996 : P.148)


Nos classes de langues connaissent-elles cette « expérience de l’altérité » ?


3 - Matériel et choix méthodologique

Pour pouvoir répondre à cette interrogation, nous avons mené une enquête par questionnaire  auprès de 20 enseignants exerçant au niveau des établissements du secondaire dans la Wilaya de Tiaret. Nous avons pu recueillir un certain nombre de données que nous allons exposer et interpréter dans ce qui suit. Les questions posées peuvent être regroupées en trois catégories.


La première catégorie concerne le texte littéraire. Nous avons essayé de voir si ce type de support est effectivement présent et exploité en classe. S’il bénéficie d’une pédagogie différenciée qui tient en compte sa spécificité le distinguant du simple texte informatif. Si son aspect culturel est abordé en classe et s’il conduit à une interaction entre les apprenants en classe de FLE.


La deuxième catégorie s’intéresse au rôle de l’institution et des concepteurs du programme dans la prise en charge de la dimension interculturelle : Intègrent-t-ils cet aspect dans les programmes et les manuels scolaires. Planifient-t-ils une formation à l’interculturel au profit des PES (Professeurs d’enseignements supérieurs) . Définissent-t-ils un référentiel pour les compétences interculturelles sur lequel peut s’appuyer l’enseignant.


La dernière catégorie est centrée sur l’enseignant. Dans cette partie du questionnaire les sujets interrogés définissent l’approche didactique qu’ils utilisent dans leurs cours. Ils sont invités ensuite à s’exprimer sur leur préférence en matière de texte littéraire et de type de texte à employer (français, francophone, traduit). Enfin, ils exposent les difficultés qui les empêchent d’adopter une approche interculturelle du texte littéraire dans leurs classes.


4 - Résultats

Le dépouillement des questionnaires nous a conduits aux résultats suivants : Les PES sont unanimes quant à la présence effective du texte littéraire dans leurs cours de langue. Ils assurent tous que ce type de support est bel et bien intégré à leurs pratiques enseignantes. 93٪ d’entre eux affirment que le traitement réservé au texte littéraire est identique à celui appliqué au texte informatif. Une minorité d’entre eux évaluée à 7٪aborde l’aspect culturel du texte littéraire mais sans aller jusqu’à susciter des interactions en classe.


Pour ce qui est du rôle de l’institution, les enseignants interrogés s’accordent à dire qu’il n y a aucune trace de la dimension interculturelle dans les questionnaires accompagnant les textes littéraires des manuels. Ils certifient également que la formation à l’interculturel et son référentiel des compétences n’est pas prise en charge par l’institution.


72% des sujets de l’enquête disent utiliser une méthode traditionnelle transmissive dans leurs cours, 28% se servent de  l’approche communicative. Pour ce qui est de leurs préférences en matière de texte littéraire, 57% optent pour la littérature française,27% pour la littérature francophone et 16% préfèrent des textes traduits.


Les difficultés recensées peuvent être énumérées comme suit :


●   Le niveau faible et insatisfaisant des élèves


●   Le manque de formation pour le personnel enseignant


●   La nature même du texte littéraire (fragmentaire et concentrée) : Fragmentaire car les textes romanesques ne sont pas étudiés dans leur intégralité, ils constituent donc des extraits amputés de leur début et de leur fin. Concentrée vu leur langage raffiné et polysémique nécessitant un certain niveau de maitrise de la langue étrangère.


●   La contrainte du temps (durée de la séance estimé à 1heure)


●   L’effectif élevé des élèves (classes surchargées)


5 - Interprétation et discussion

Les résultats obtenus nous montrent que le texte littéraire en dépit de sa richesse culturelle et de sa particularité en tant qu’écrit artistique,n’est pas estimé à sa juste valeur dans nos programmes éducatifs. Le traitement qui lui est réservé dans le manuel et en classe de FLE ne diffère en rien de celui appliqué au texte non littéraire.Seul donc son aspect linguistique est exploité ce qui lui enlève toute spécificité aux yeux des apprenants pour qui il devient similaire aux autres types de texte ou pire le genre de support qu’on déteste car il rend plus compliqué l’apprentissage. Nos apprenants se détournent du texte littéraire et n’arrivent pas à apprécier sa beauté parce qu’il n’est pas étudiée selon une pédagogie différenciée capable de les initier au plaisir du texte à travers la pratique de la lecture littéraire. C’est dans et par le biais de cette lecture qu’apparait la littérarité du message «  le littéraire réside moins dans le texte  que dans sa lecture. L’idée que la littérature est une composante immanente à certain type de textes conduit à une impasse. La littérature est un effet de lecture qui dépend de l’attitude qu’on adopte à l’égard du texte » (Picard, 1986 :P.62)


6 - Pour une lecture littéraire

Si la lecture ordinaire ignore le lecteur et se sert de lui juste comme un décodeur, qui va déchiffrer les signes textuels pour aboutir à un sens préexistant, la lecture littéraire fait de lui le destin même de l’œuvre et le prolongement de l’aventure littéraire car sans lui, sans lecture, le texte littéraire n’est qu’une lettre morte. En effet, selon les théories de la réception, le texte littéraire constitue le pôle esthétique qui ne peut s’actualiser et avoir du sens que grâce au pôle artistique que représente le lecteur. Le sens d’une œuvre littéraire n’est donc pas une donnée immanente au texte mais le fruit d’une collaboration avec le sujet-lisant. Cette collaboration est une condition sine qua non pour l’aboutissement du texte littéraire qui est par définition un écrit inachevé comme l’affirme Eco :


« Le texte est [...] un tissu d’espace blancs, d’interstices à remplir, et celui qui l’a écrit prévoyait qu’ils seraient remplis et laissés en blanc pour deux raisons. D’abord parce qu’un texte est un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduit par le destinataire (...) Ensuite parce que, au fur et à mesure qu’il passe de la fonction didactique à la fonction esthétique, un texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative »(Eco, 1985 : P.63).


Selon Eco, le texte littéraire fonctionne par un principe d’économie qui lui évite de tout dire car même s’il invente et met en scène des univers, ces derniers ne peuvent pas être racontés et décrits dans leur intégralité. Il y a toujours ces entailles, ces non-dits,ces implicites et ces manques que le lecteur (l’apprenant dans notre cas) se charge de combler.


6.1 - Compréhension et Interprétation

Pour s’acquitter de cette tâche, le sujet-lisant puise dans ses représentations et ses expériences préalables pour coproduire le sens du texte. La lecture littéraire, n’est pas par conséquent que compréhension, elle est aussi interprétation. Ces deux opérations constituent selon certains didacticiens comme J.-L. Dufays deux étapes distinctes mais successives dans la lecture du texte littéraire.


«La compréhension est la lecture première, littérale du texte, celle qui se contente d’exploiter les éléments internes de l’énoncé et se cantonne au niveau des sens dénotés directement perceptibles. Elle est le mode de lecture ordinaire et quasi exclusif des messages fonctionnels. L’interprétation, quant à elle, vise un au-delà du texte : elle s’appuie sur des textes antérieurs ou des connaissances extérieures pour faire apparaître des significations qui n’étaient pas décelables du premier coup, et qui apparaissent dès lors comme des connotations, des sens seconds, des symboles, voire des sens cachés qu’il revient au lecteur de débusquer.»(Dufays, 1997 : P.32)


 D’autres, comme C. Tauveron, considèrent qu’on ne peut pas dissocier ces deux moments car ils interviennent de façon simultanée.


«Le processus interprétatif est indissociable du processus de compréhension. [...]Il y a un rapport d’inclusion complexe entre compréhension et interprétation (et non unrapport de succession) que je dois apprendre très tôt et que je peux faire émerger dedeux manières :


●  aller voir plus profondément dans le texte ce qu’il me cache, soit parce qu’ilrésiste soit parce que je pense que ça vaut le coup,

●  apprendre cette pratique sociale privilégiée qu’est la lecture littéraire, fairerésonner le texte dans son silence intérieur et à faire résonner dans le silence intérieurdes textes, tous les textes qui traversent ce texte et qui frémissent en lui » (Tauveron , 1999 : P.6).

6.2 - Interprétation et ouverture sur l’Autre

L’interprétation est par essence subjective et par conséquent plurielle. Cette pluralité est source de richesse et pour le texte qui voit s’accroitre ses potentialités significatives et pour l’apprenant lecteur  qui se rend compte de sa singularité vis-à-vis des autres. Nous pensons que l’accent doit être mis sur ce travail d’interprétation dans nos classes non seulement pour stimuler nos apprenants et les réconforter dans leurs ancrages identitaires mais aussi pour les sensibiliser à cette élasticité du texte littéraire en termes de possibilités significatives. Cette ouverture du texte enseigne l’ouverture d’esprit. Elle peut être utilisée comme point de départ de l’altérité. En comprenant que le texte littéraire tolère toutes les interprétations émises en classe[2]on déduit qu’il est capable d’en admettre d’autres qui pourraient surprendre par leur étrangeté, vu qu’elles viennent des horizons culturels différents. L’apprenant commence alors à s’interroger sur le sens que pourraient donner l’Autre aux choses déjà interprétées en classe. Il passe ainsi d’un état ethno-centré à un état décentré. Séoud explique qu’après avoir donné sa propre vision guidée et dictée par les normes culturelles de son groupe d’appartenance.


l’apprenant  «modifiera son appréciation peu à peu par une confrontation avec les autres textes et un échange de points de vue avec ses condisciples sachant que la multiplications des points de vue lui permettra d’élaborer des hypothèses explicatives et d’adopter progressivement une attitude de recul par rapport à son jugement initial»(1997 : P.50).


Il ne suffit donc pas de susciter des interprétations et les laisser sans suite. Ce travail, pour qu’il soit fructueux, doit déboucher sur une interaction lors de laquelle les apprenants s’expriment et discutent leurs propositions. C’est dans et à travers le dialogue, qu’il soit effectif en classe avec les autres apprenants, ou virtuel dans le texte avec l’Autre, que l’élève apprend à élargir ses perspectives culturelles pour accueillir et englober celle(s) de(s) Autre(s).


6.3 - Quelle littérature choisir ?

Toujours dans cette optique de favoriser le travail interprétatif, il nous semble important de privilégier les textes polysémiques. C'est-à-dire les textes où la part de l’évènementiel n’est pas assez importante au point d’éclipser les représentations et les éléments connotatifs.


Sont à avantager aussi les textes issus des littératures francophones qui sont la plupart du temps marginalisés ou exclus à cause d’un préjugé vérifié grâce au questionnaire qui fait penser que la littérature française est garante d’un bon apprentissage, étant donné produite par des natifs. Se limiter à la littérature française est contraire à l’idée même de l’altérité qui refuse tout confinement et tout enfermement. Prioriser cette littérature revient à resserrer les contours de la notion de l’Autre et à la réduire à celle du Français. Par contre, le recours à la littérature francophone montre comment d’autres diversités s’expriment en français, cette langue commune permet d’exprimer l’identité de chacun. Dans sa thèse de doctorat intitulée Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire, Maillard souligne l’analogie qui existe entre l’apprenant d’une langue étrangère (le FLE) et l’écrivain nait dans une autre langue et produisant en français. Selon elle, tous les deux vivent de la même façon le désir de l’altérité En abordant des sujets tels : l’identité, l’exil, l’errance, le voyage, l’émigration ..., les auteurs francophones expriment ce désir et le réalisent en allant à la rencontre de l’Autre et en racontant cette rencontre. L’apprenant qui ne peut vivre enfermé dans un monde ouvert a lui aussi besoin de connaître et de rencontrer cet Autre. Les écrits francophones se présentent à lui donc comme des mosaïques culturelles lui offrant un terrain des plus fertiles à l’exercice de l’altérité.


« Le rapport à la pluralité linguistique et culturelle (que véhiculent les littératures francophones) entrent précisément en résonance avec les finalités visées (dans l’apprentissage de l’interculturel), et qui mettent pour certain en abyme ce que vivent les apprenant : rencontre de l’altérité culturelle, apprentissage d’une nouvelle langue. » (Maillard, 2013 : P.268)


Mais l’apprenant est le maillon final dans la chaîne pédagogique. Si nous voulons parvenir réellement à de telles fins, l’institution et tous les acteurs de la scène éducative dans notre pays doivent  outiller les enseignants et leur fournir  une formation à l’interculturel capable de les transformer de simples transmetteurs de savoirs en véritables médiateurs orchestrant correctement l’apprentissage de nos élèves. Mais en dépit de l’absence d’une telle formation, nos enseignants ne doivent pas se contenter de montrer du doigt leur tutelle et d’attendre passivement des résolutions qui puissent mettre du temps à venir. Conscients de l’importance de la perspective interculturelle dans l’enseignement/apprentissage d’une langue, leur conscience professionnelle doit les inciter à s’autoformer et pourquoi pas à former par la suite leurs confrères. D’autres initiatives peuvent être entreprises pour remédier à des difficultés surmontables comme celle de la nature fragmentaire et concentrée des textes proposés qu’on peut régler à travers la préparation des résumés pour les œuvres dont ils sont extraits afin de permettre à l’apprenant de comprendre ce qui précède et ce qui suit leur contenu. L’enseignant peut envisager aussi des stratégies pour remédier à d’éventuels blocages que peuvent causer les passages jugés nécessitant un certain niveau de maitrise linguistique que nos élèves n’ont pas.


Conclusion

Le texte littéraire n’est malheureusement étudié dans nos classes que pour aborder des questions purement linguistiques. Son potentiel culturel est ignoré et inexploité car nos enseignants qui n’ont eu aucune formation en la matière, se trouvent démunis face à cette interculturalité dont l’importance est soulignée maintes fois dans le discours officiels des réformateurs sans que cela soit accompagnés des mesures effectives, permettant de l’intégrer dans nos manuels scolaires et dans nos pratiques de classe. Il ne faut pas compter sur la seule magie du texte littéraire pour faire éclore un apprentissage du Divers dans nos écoles. Ce dernier mérite plus d’engagement de la part des dirigeants de notre système éducatif.




 Abdallah-Pretceille, M&Porcher, L. (1996).Education et communication interculturelle, Puf, éd. Paris.

 Besse,  H. (1991).“Comment utiliser la littérature dans l’enseignement du FLE ?”. Ici et là.

  Dufays, J.-L. (1997).Lire au pluriel : pour une didactique de la diversité des lectures à l’usage des14-15 ans. Pratiques

 Eco, U. (1992).Les limites de l’interprétation. Paris. Grasset.

 Eco, U. (1985). Lector in fabula : le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs. Paris. Grasset.

 Glissant E. (1990).Poétique de la Relation, éd. Gallimard.

 Khelifi, M. (2007).Confluences littéraires in Didactique du Fle et de l’interculturel.Luc Collès et al ; Proximité, EME,

 Maillard, N. (2013).Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire. Université  d'Angers,

 Picard, M. (1986).La lecture comme jeu ; essai sur la littérature, éd. Minuit.

 Seoud, A. (1997).Pour une didactique de la littérature. Paris : Hatier-Didier : CREDIF .1997

 Tauveron, C.(1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l’école : du texte réticent au texte proliférant”. Repères : Comprendre et interpréter les textes à l’école.




 [1] On entend ici par univers symbolique, les valeurs, la vision du monde et les représentations que le texte littéraire se charge consciemment ou pas de transmettre.

 [2] Mais l’interprétation a des limites on ne peut pas faire dire au texte ce qu’il ne dit pas comme l’affirme Eco «Un texte est un organisme, un système de relations internes qui actualise certaines liaisons possibles et en narcotise d’autres […] il est possible de faire dire beaucoup de choses au texte, parfois un nombre potentiellement infini de choses, mais il est impossible, du moins illégitime d’un point de vue critique, de lui faire dire ce qu’il nedit pas.» (ECO, 1992 : P.17)



Pour citer cet article:

Soumia AOUNALLAH et Amir MEHDI, « Le texte littéraire et son potentiel interculturel dans l’enseignement du FLE : Réalité et perspectives », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.264-278




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