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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


Du texte littéraire et de son utilité en classe de langue

Nasredine BOUACHE
Université LES FRÈRES MENTOURI de Constantine (Algérie)

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012

Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Citation - Téléchargement

La littérature est-elle toujours utile pour l'enseignement de la langue ? Telle est la question que nous avons voulu aborder dans le présent article. Partant de cette question elle même et des notions qu'elle comporte et que nous avons interrogées, il nous a semblé nécessaire de revoir d'abord cette question, de l'actualiser aussi pour la reformuler autour de la notion de texte littéraire plutôt que de la littérature, notion qui demeure aujourd'hui encore difficile à définir et à cerner.
L'analyse, ensuite, de trois manuels scolaires du secondaire nous a permis de démontrer que le texte littéraire occupe une place importante au sein de ces contenus.
Nous avons alors interrogé les savoirs qu'il est possible d'enseigner à partir du texte littéraire et nous avons vérifié comment ceux-ci sont répercutés dans le dernier chapitre du manuel scolaire de 1ère AS, relatif à l'étude de la nouvelle.
L'analyse des activités relatives à ce chapitre nous autorise à dire que le texte littéraire est d'une grande utilité pour l'enseignement/apprentissage du fle au secondaire.
Mots-clés: enseignement de la langue - littérature - texte littéraire

هل يزال الأدب مفيدا لتدريس اللغة؟ هذا هو السؤال الذي أردنا معالجته في مقالنا هذا انطلاقا من مساءلة المفاهيم التي يحتويها السؤال ذاته سيما كلمة "أدب" التي يصعب تعريفها. وارتأينا على ضوء ذلك أن نعيد صياغة السؤال وكذا تحيينه في ظل الظروف الراهنة للتحدث عن النص الأدبي بدلاً من الأدب
بعد ذلك قمنا بمعاينة محتويات ثلاثة كتب مدرسية للصف الثانوي بغية معرفة مكانة النص الأدبي ضمن هذه المحتويات ولتوضيح الرؤى حول جملة المعارف التي يمكن تلقينها للمتعلمين انطلاقا من النص الأدبي
وبعد الوقوف على هذه المعارف، ارتأينا أن نحقق في مدى استغلالها ضمن الباب الأخير من الكتاب المدرسي للسنة الأولى ثانوي آداب والمخصص لـ "النص الجديد". بعد الدراسة والفحص، تبين لنا أن الاستفادة التي يتم جنيها من تدريس النصوص الأدبية لا يمكن الاستهانة بها في مجال تعليم اللغة الفرنسية في الصف الثانوي
الكلمات المفتاحية: تدريس اللغة ـ الأدب ـ النص الأدبي


Is literature still useful for language teaching? That is the question we want to address in this article. Starting from this very question and notions it involves and that have been analyzed, it seems necessary to review this issue first, update and reformulate it around the notion of literary text rather than literature, a concept that remains difficult to define and identify.
The analysis, then, of the three textbooks of secondary school has allowed us to demonstrate that the literary text has an important place within their contents. We have, then, assessed the knowledge that is possible to teach from the literary text and have examined how this knowledge is reflected in the final chapter of 1st year literary stream textbook.
The analysis of the activities related to this chapter authorizes us to say that the literary text is of great use for teaching / learning French in secondary school classes.
Keywords: Language teaching- literature - literary text


    ●    Introduction

    ●    1 - De la pertinence de la question

    ●    2 - De la place du texte littéraire dans les manuels du secondaire

    ●        2.1 - Niveaux d'analyse. 1

    ●        2.2 - Quelle place pour letexte littéraire et quels savoirs enseigner à partir du texte littéraire ?

    ●        2.3 - Le texte littéraire : une vérité en cache l’autre

    ●    Conclusion




Introduction

Notre présente réflexion s'attache à mettre en évidence l'utilité du texte littéraire dans le contexte de l'enseignement du FLE en Algérie, et répond à une question posée dans l'argumentaire. Elle prend appui sur un ensemble de travaux réalisés ailleurs qu'elle cherche à actualiser et à vivifier pour leur donner sens et consistance dans l'enseignement secondaire. Pour ce faire, nous partirons, dans un premier temps, de la question elle-même pour réinventer sa sémantique. Nous interrogerons ensuite la place du texte littéraire dans les manuels du secondaire ainsi que la manière dont il est pris en charge en classe, à travers les activités qui structurent la construction de son sens, avant de discuter son utilité à la lumière des finalités et objectifs qui lui sont conférés.



1 - De la pertinence de la question

La littérature est-elle toujours utile pour l'enseignement de la langue ? Cette question mérite-elle d'être posée dans le contexte de l'enseignement du FLE au secondaire, en Algérie ? Toutes les questions sont légitimes, pensons-nous, lorsqu’il s’agit de réfléchir sur l'enseignement/apprentissage des langues étrangères et de penser les moyens que l'on se donne pour y arriver. Ce qui l'est moins, c'est le fait d'inscrire le doute durablement et intentionnellement autour d'objets d'enseignement qui ont fait preuve d'office et le font encore.


Voilà notre position de départ même si la réponse fournie paraît assez nuancée pour ne pas dire évasive et à coté car piégée par le jeu de mots clés qui la traversent de long en large et qui méritent un traitement distinctif. Partir alors de ces mots clés que la question de départ renferme parait la voie royale vers le salut escompté.


Sauf à nous tromper, le mot littérature constitue la charpente même de la question posée. Ne pas s'y arrêter pour l'interroger serait le risque majeur à encourir. Qu'est-ce que donc la littérature ? Nous nous trouvons déjà face à une interrogation qui n'a cessé, depuis longtemps, de tarauder les esprits des spécialistes de divers champs disciplinaires que celle-ci ne cesse d'interpeller avec, en premier lieu, ceux du champ littéraire. Une question vieille de plusieurs générations dont la réponse tarde pourtant à venir, peut-être parce que la littérature, pour pasticher Barthes, c'est justement ce qui ne se définit pas, c'est tout.


Souvenons-nous de la tentative de Sartre, il y a plus de soixante ans, dans son essai: Qu'est-ce que la littérature ? qui se décline en pas moins de 374 pages et qui a marqué des générations de lettrés. A-t-il réussit à le définir et à préciser ses contours ? Nous avons lu et relu ce texte à maintes reprises et nous sommes à chaque fois sorti insatisfait non que le texte ne nous plaisait pas mais parce que nous n'y trouvions pas forcément notre objet de quête, cette définition tant recherchée. Nous avions cru d'abord que Sartre, philosophe de renom, avait procédé autrement en donnant une réponse codée ou du moins entre les lignes que nous n'avons pas su saisir. La relecture de l'essai une, puis deux puis trois, puis tant de fois nous a amené à la même déception. Longtemps après, les témoignages d'autres lecteurs du texte nous ont confirmé dans cette idée que Sartre ne donne pas de définition de la littérature dans son essai. Tous ceux qui diront que la nature de l'objet littéraire parait insaisissable n'ont pas tout à fait tort. Tous ceux qui croient « qu'il n'y a de définition possible de la littérature que relativiste » (Canvat, 2000: 57) aussi. Sartre, quant à lui, savait parfaitement ce qu'il faisait. Son rôle de philosophe n'était pas de donner des réponses toutes faites mais plutôt de poser les bonnes questions et, à ce titre, il a réussi le pari, n'en déplaise à ceux qui pensent le contraire.


Arrivé à ce point, nous constatons qu'il aurait peut être fallu mieux parler de texte littéraire que de littérature. On nous excuserait pour cette remarque. C’est que, historiquement, cette notion s'est vu, sous l'influence des Formalistes russes et de R. Jakobson, progressivement concurrencer et remplacer, comme le disait Legros (2000: 22), par celle de littérarité puis de texte littéraire. Pour nous, en tout cas, associer la littérature comme objet d'enseignement à l'apprentissage du FLE, au secondaire, revient naturellement à parler de textes littéraires. Le texte c'est l'unité, la littérature c'est la masse et que, face au problème de sa circonscription qui demeure posé, nous restons convaincus que l'on ne peut travailler la masse en classe de FLE. C'est pourquoi il faudrait peut être encore une fois revenir à la boutade de Barthes pour l'inverser et dire que la littérature c'est ce qui ne s'enseigne pas au secondaire, c'est tout. Ni le temps ni le lieu ne le permettent si manière il y a. Par conséquent, la question de départ mériterait d'être modifiée pour entrer dans le moule et deviendrait ainsi: le texte littéraire est-il toujours utile pour l'enseignement/apprentissage de la langue étrangère ? Voila qui est mieux, nous paraît-il.


Il reste autre chose à clarifier. Il s'agit de la signification contextuelle de l'adverbe « toujours » qui indique que cet objet, objet de notre  réflexion, jouissait depuis longtemps de confiance auprès des observateurs et des acteurs du champ, qu'il l'est encore mais que, depuis un certain temps, des voix s'élèvent, par-ci, par-là, pour dire, dans la hâte: attention, l'objet littérature est en phase de perdre de sa pesanteur au sein de la classe de langue ! S'agit-il, finalement, d'un constat ou d'une simple impression ? C'est ce que l'on voudrait savoir. Si c'est un constat -le mot signifie d'ailleurs analyse, examen d'une situation, d'une période, etc.-, mieux vaut se référer à des situations réelles où la régression du texte littéraire est manifeste, à des programmes, des contenus d'enseignement relatifs à telle ou telle niveau ou telle ou telle  région du monde, autant qu'à des travaux de recherche déjà réalisés pour nourrir le débat et pour que l'on puisse vérifier ce qui est à vérifier dans le tangible. Ce n'est pourtant pas ce que Canvat (2000: 57), s'appuyant sur les travaux de Reuter, nous rappelle. S'il s'agit, par contre, d'une impression, les impressions sont souvent trompeuses.


Que dire alors ? Qu’il est d'abord vrai que la sacralisation dont le texte littéraire a longtemps joui ainsi que les valeurs humanistes et politiques dont il était porteur ont été remises en question depuis longtemps. Faut-t-il rappeler que même les méthodes de naguère sont aujourd'hui obsolètes, que les corpus à faire lire ne sont plus les mêmes, que le pragmatisme galopant des années 50 a fini par régner, que la génération des héritiers a fondu dans la masse mais que le texte littéraire continue à se porter bien en classe de langue ?


Faut-il rappeler aussi que, souvent, derrière cet alarmisme se cache et se laisse deviner une dimension nostalgique de telle ou telle génération, toujours affectivement attachée à une époque, l'époque du bon vieux temps, mais que cela n'a rien à voir avec la vérité de la classe de langue dont cette génération est aujourd'hui loin. Dire par exemple que la génération des années 5O (que les personnes de cette génération nous excusent de les donner pour exemple) était mieux cultivée ou mieux formée que celles d'aujourd'hui parce qu'elle a subi une formation littéraire de base solide, c'est oublier d'abord que c'est cette génération même qui, vingt ans plus tard, qui devenant enseignant, qui devenant chercheur, a récusé le positivisme lansonnien et l'esprit qui en découle et dans lequel cette même génération a été formée. C'est oublier ensuite que le contexte n'est plus le même, que les choses ont substantiellement changé et, qu'entre temps, les sciences humaines ont connu le jour et se sont développées, qu’elles ont apporté un nouveau regard sur le texte littéraire et qu'il est aujourd'hui difficile de concevoir les finalités de son enseignement en terme de rhétorique ou de morale. C'est aussi oublier que les théories de la réception qui n'existaient pas à l'époque ont complètement changé la donne et déplacé les perspectives, en mettant au premier plan le lecteur et en reléguant à l'arrière plan le texte. C'est, de la même façon, oublier que la linguistique textuelle s'est frayé un chemin dans le domaine de l'analyse des textes en ramenant la linguistique structurale à ce qu'elle est aujourd'hui. C'est oublier encore l'avènement de l'énonciation, de la pragmatique, de la nouvelle stylistique (la liste est longue) et de tout ces savoirs nouveaux (Fourtanier et Langlade, 2000: 8) qui en découlent et qui posent, peut être, le vrai problème auquel l'enseignement/apprentissage du texte littéraire est aujourd'hui confronté. C'est oublier encore et encore l'esprit de notre époque marquée par les impulsions de la communication de masse qui nous grignote notre temps, qui laisse peu de moments à la lecture. Mais c'est surtout être, enfin, dans le déni et la désapprobation face à ceux, hommes et femmes, qui continuent à faire aimer et à transmettre le savoir lire des textes littéraires aux nouvelles générations.


Certes, autrefois, les gens lisaient beaucoup et ils le faisaient pour se cultiver mais aussi pour combler un vide. Aujourd'hui, les gens sont occupés et ont la tête connectée ailleurs. Il devient de plus en plus difficile de s'aménager, au quotidien, un temps pour la lecture. Telle est, en tout cas, l'impression générale. Mais la réalité de la classe de langue est tout autre. Celle de la société l'est aussi, pour beaucoup. C'est peut-être la raison pour laquelle la connivence culturelle entre anciennes et nouvelles générations est ce qui manque aujourd'hui le moins.


Que dire ensuite ? Que ceux qui pensent qu'en dehors du texte littéraire, point de salut se trompent énormément. Le texte littéraire n'a pas perdu de son utilité ni même de son attrait mais que la mission dont l'école est investie aujourd'hui dépasse largement le seul souhait de fabriquer des lecteurs pour les lettres. Qu'il faut accepter que l'école se doit aujourd'hui d'initier les apprenants à toutes les formes de lecture qu'elles soient littéraires ou non. Faut-il rappeler que, même à ce niveau, la lecture du texte littéraires et l'approche dont-il est l'objet est appelé par certains spécialistes du domaine à servir de modèle pour les autres types de textes. N'est-ce pas ce que Dufays et al. (2005: 11) formulent comme hypothèse dans leur livre :Pour une lecture littéraire. Histoire, théories, pistes pour la classe à savoir que « le rapport à la littérature active de manière maximale les opérations et les codes susceptibles d'intervenir dans toute lecture » ?


Que dire encore ? Que le texte littéraire a connu des hauts et des bas : gloire et sacralisation sous le règne de la méthode traditionnelle, refoulement et décadence avec l'avènement des MAO et des MAV, banalisation à cause de son écart par rapport à la norme avec l'approche communicative mais cela ne l'a pas empêché de s'affirmer, de revenir à chaque fois sous de bons auspices. N'empêche aussi, qu'entre temps, beaucoup de chercheurs du champ, voulant répondre à la question : y-a-t-il des connaissances dans le texte littéraire qui seraient à enseigner en priorité ? ont cherché dans leurs travaux, chacun selon le domaine de compétence qui est le sien, à valoriser un quelconque savoir véhiculé par le texte littéraire : qui le linguistique (laboratoire de langue), qui l'interculturel (l'universel singulier), qui le plaisir (droit au bovarysme), qui la fécondité pour dire la chose ainsi (l'intertextualité) et que sais-je encore.


Certes, l'adverbe « toujours » suppose qu'il y a un avant et qu'un après commence à se faire sentir. Par conséquent, le doute qui plane sur la littérature aujourd'hui n'aurait rien à voir avec l'objet lui-même mais avec le contexte général dominé par la massification des moyens de communication de masse (TV, téléphone portable, internet et les réseaux sociaux, etc.) qui laissent peu de temps à la lecture et qui serait même en voie de changer non seulement notre rapport au texte ainsi qu'aux manières de lire mais aussi tout l'habitus lectoral. La question de départ serait alors une fois encore à modifier légèrement pour l'insérer dans le contexte actuelle et prendrait la forme suivante: Au vu des modifications substantielles que les moyens de communication de masse sont en train d'imposer, le texte littéraire est-il toujours utile dans l'enseignement/apprentissage de la langue? car il faut l'admettre, la société a un impact directe sur les pratiques de classe et les exigences évoluent en conséquence.


Bien sur, chaque innovation apporte avec elle son cortège de méfiance, de crainte, de doute et de défiance. L'espèce humaine semble être condamnée à aller de l’avant et à innover sur tous les plans. Dans cette logique tout à fait logique, ce qui est nouveau dispose souvent de plus d'attrait que l'ancien qu'il chasse. Mais, sur le plan littéraire, une seule mutation est à retenir : le passage de l'oralité à l'écrit. Hier, la littérature se transmettait oralement, de génération en génération et l'oralité était, dans une certaine mesure, gage d'originalité. Les mêmes textes traversent les âges et imprègnent les différentes générations mais à chaque fois, racontés de manière différente. Chaque génération, selon ses plaisirs, ses agréments et ses désirs du moment y ajoute son grain de sel. Depuis l'invention du support, papier surtout, et l'expansion de son utilisation aux lendemains de la révolution Gutenberg, le texte littéraire a été inscrit dans le marbre une fois pour toute et est reconnu comme propriété personnelle. Son appropriation est, depuis, différente de celle de naguère. A t-il depuis jamais été dépassé ? Jamais le texte littéraire n'a subi de réels affronts comparables à ceux du début du siècle écoulé et pourtant, il est toujours là. Ni la radio ni la TV n'ont pu le supplanté et, moins encore aujourd'hui, le téléphone portable, Internet et ses réseaux sociaux qui sont des phénomènes de mode. Vous savez pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a, derrière, une pratique culturelle déjà inscrite dans les gènes. Une pratique qui constitue la matrice de toutes les pratiques culturelles : la lecture. Au risque de paraître naïf et impudent, nous pensons que rien ne pourra évincer le texte littéraire et lui ôter l'aura dont il jouit socialement parlant et dans la classe de langue.


Voilà donc, indirectement, mises en évidences les vrais raisons qui sont à l'origine de cette question de départ et qui reviennent de génération en génération comme un leitmotiv, en changeant à chaque fois d'habits. Il serait donc vain, à notre sens, de prévoir sa disparition ni même de plaider sa cause.  Il reste un troisième mot de la question à discuter. C'est le mot « utilité » qui signifie rôle, mission ou encore office. Il fera l'objet de la deuxième partie du texte.



2 - De la place du texte littéraire dans les manuels du secondaire

Après avoir décortiqué la question, nous souhaiterions, à présent, focaliser le regard sur la place accordée au texte littéraire au sein des domaines d'apprentissage pour mieux interroger son utilité. Dans les limites imparties à cette partie, nous nous contenterons d'une lecture rapide des manuels solaires de la 1èreAS Lettres, de la 2èmeet de la 3èmeAS pour apporter les précisions qui s'imposent. L'analyse du dernier chapitre du manuel scolaire de 1èreAS Lettres relatif à la nouvelle nous permettra de mettre en évidence les savoirs privilégiés et à enseigner à partir de ce type de texte avant de tirer les conclusions en relation avec la question de départ.


Rappelons, pour commencer, que l'enseignement du FLE en Algérie obéit à la logique du manuel unique : un manuel pour chaque niveau d'apprentissage sauf pour la 1ère AS où la filière Lettres a son propre manuel. Un deuxième manuel que nous excluons de la présente analyse est destiné aux autres filières. En tout, quatre documents, tous édités par l'Office des Publications Scolaires pour le compte du Ministère de l'Education Nationale, sont actuellement mis à la disposition des apprenants du secondaire.


Ceux-là, à quelques différences près, présentent la même structure puisque organisés en projets pédagogiques et, également, en chapitres inégalement répartis dans ces mêmes projets sauf pour la3èmeAS. On a ainsi :


    ●  En 1ère AS Lettres trois projets pédagogiques (cinq chapitres) ;


    ●  En 2ème AS quatre projets pédagogiques (cinq chapitres) ;


    ●  En 3ème AS, quatre projets (le manuel scolaire obéit à une organisation en projet seulement).


Les contenus de chaque projet pédagogique se construisent autour d'un objet d'étude, d'un ou deux grands thèmes (langues (orales, écrites) et images, l'homme et son environnement, en 1èreAS, les grandes réalisations scientifiques et techniques, voyages et explorations à travers l'histoire univers elle en 2èmeAS et l'homme contemporain en 3ème AS) minutieusement articulés à des thématiques secondaires, le tout dispensé sous forme de séquences pédagogiques pour mieux assurer leur cohérence. Le tableau suivant rappelle les contenus d’enseignement (projets et chapitres, objets d'étude et thèmes) de la 1ère année secondaire.


Project

Chapitre

Objet d’étude

Thèmes

1

Exposer pour donner des informations sur divers sujets

La vulgarisation scientifique

La communication ;

l’environnement ;

La ville.

1

Dialoguer pour se faire connaître et connaître l'autre

L’interview

Les métiers

2

Argumenter pour défendre ou réfuter un point de vue

Le discours argumentatif

Les loisirs

3

Relater un évènement en relation avec son vécu

Le fait divers

La sécurité ;

Les transports.

3

Relater un évènement fictif

La nouvelle

L’homme et la mer


L'écrit dont « les supports doivent être diversifiés pour permettre aux apprenants de conceptualiser la notion d'intention communicative, par la comparaison entre les formes du discours et leurs visées » (DAP[1],2005: 18) occupe les devants de la scène et les textes sont regroupés autour d'objets d’études : la vulgarisation scientifique, l'interview, le discours argumentatif, le fait divers et la nouvelle. Les critères de l'élaboration d'une telle progression ne sont, certes, pas explicites mais la position, en aval, du texte littéraire n'obéit pas forcément à une logique de préférence ou à un quelconque ordre d'importance. D'abord parce qu'un chapitre est entièrement dédié au texte littéraire. Ensuite parce qu'au sein des autres projets non dédiés au texte littéraire, d'autres textes de cette facture sont souvent étudiés. C'est le cas de: Dans ma maison de Jacques Prévert (p. 23-24), Je voyage bien peu de J. Cocteau (p. 55), Les deux pigeons de La Fontaine (p. 77), Demain, dès l'aube de Victor Hugo (p.82), Qui a tué Davy Moore (version française) de Bob Dylan (p. 112- 113), Oklahoma, 20 Janvier 1914 de B. Cendrars (p. 132) et La grasse matinée de J. Prévert (p. 140-141) pour ne donner que l'exemple de la 1ère AS. Les rédacteurs des programmes parlent alors de « fait poétique » qui « ne constitue pas un objectif de maîtrise mais un objectif d'enrichissement » (2005: 36) mais que ces textes peuvent, selon ces derniers, en plus de leur fonction esthétique, servir de support à des activités diverses.


Les contenus d'enseignement de la 2ème AS se dévoilent, à leur tour, comme suit:


Projet

Chapitre

Objet d’étude

1

Exposer pour présenter un fait.

Le discours objectivé

2

Argumenter pour plaider une cause ou la discréditer.

Le plaidoyer et le réquisitoire.

3

Relater pour informer et agir sur le destinataire.

Le reportage touristique et le récit de voyage.

3

Relater pour se représenter un monde futur.

La nouvelle d'anticipation.

4

Dialoguer pour raconter.

Le discours théâtral.


Cinq objets d'étude y sont aussi programmés: le discours objectivé, le plaidoyer et le réquisitoire, le reportage touristique et le récit de voyage,  la nouvelle d'anticipation et le discours théâtrale. Si l'on exclut le troisième objet d'étude considéré comme un genre mineur, il reste quand même qu’en 2ème AS, un chapitre tout entier est consacré au texte littéraire, toutes filières confondues, ainsi qu'un projet, le quatrième, exclusivement réservé aux classes de Lettres.


Presque la même chose est à remarquer en 3èmeAS. En effet, parmi les quatre objets d'étude, correspondant chacun à un projet, le dernier, si l'on fait l'économie du troisième intitulé : le reportage touristique et le récit de voyage, considéré aussi comme un genre mineur, est réservé au texte littéraire, à savoir : la nouvelle d'anticipation.


Projet

Chapitre

Objet d’étude

1

Dans le cadre de la commémoration d'une journée historique, réaliser une recherche documentaire puis faire la synthèse de l'information à mettre à la disposition des élèves dans la bibliothèque de l'établissement.

Textes et documents d'Histoire.

2

Organiser un débat d'idées puis en faire un compte-rendu.

Débat d'idées.

3

Dans le cadre d'une journée «portes ouvertes», exposer des panneaux sur lesquels seront reportés des appels afin de mobiliser les apprenants et les visiteurs atour de causes humaines.

Le reportage touristique et le récit de voyage.

4

Rédiger une nouvelle fantastique.

La nouvelle d'anticipation.


Voilà donc un bref aperçu relatif à la place du texte littéraire dans les contenus de l'enseignement secondaire en Algérie. Nous allons, dans ce qui suit, rappeler tout d’abord les niveaux d'analyse à mettre en œuvre avant de présenter pour les discuter, les questions associées à la nouvelle.


2.1 - Niveaux d'analyse

Les rédacteurs des programmes (2005: 45) distinguent entre trois niveaux d'analyse: le niveau discursif, le niveau textuel et le niveau phrastique. Pour le niveau discursif, ce qui est visé c'est la visée (valeur exemplaire ou initiatique de la nouvelle), prise en charge du récit (narrateur personnage/ narrateur),le fonctionnement « référentiel » des personnages (comment ancrer la réalité dans le fictif), les fonctions de la description (focalisatrice, organisatrice, symbolique), dramatisation et intensité dramatique et les forces agissantes (schéma actantiel).


En ce qui concerne le niveau textuel, il est à travailler: la référence co-textuelle, les temps dans le récit (premier et arrière plan), l'organisation de la séquence élémentaire (schéma narratif simple), l'organisation de séquences complexes par la combinaison des séquences élémentaires (schéma narratif complexe), les articulateurs chronologiques et la cohérence du personnage par sa caractérisation (être, dire) et sa fonction (faire) de force agissante.


Pour le dernier niveau, phrastique, ce qui est à étudier c'est le passé simple/imparfait/présent de narration, le conditionnel dans sa valeur du futur dans le passé, conséquence et consécutivité (préparation à la notion de possibles narratifs, verbes introducteurs du style directe et indirecte (différence entre dire, prétendre que, affirmer que, suggérer que, nier que, rétorquer que) et verbes de perception (vue, ouïe).


2.2 - Quelle place pour le texte littéraire et quels savoirs enseigner à partir du texte littéraire ?

Après avoir évoqué ces niveaux, nous allons faire part des vertus associées à l'étude des textes littéraire. Nous avons choisi pour cela d'analyser le chapitre du manuel scolaire de 1ère AS employé à l'étude de la nouvelle et qui s'intitule: Relater un évènement fictif (p. 151-188). Celui-ci se présente en trois séquences :


●  Séquence1 : Organiser le récit chronologiquement ;

●  Séquence 2 : Déterminer des forces agissantes ;

●  Séquence 3 : Enrichir le récit par des énoncés descriptifs et des "dires".


Pour chaque séquence, une suite de textes est proposée à l'étude. Des textes relativement courts et permettant leur approche par la modalité de la lecture analytique. Cinq pour la première séquence: Le K de D. Buzzati (p. 153-154), Le joueur de flûte de Hamelin de P. Mérimée (p. 158) Le jeune conteur de D. Pennac (p.158), un extrait de la revue I Had a dream du 29/4/1988 (p.159), Happé par un poulpe de J. Verne (p.160), un extrait d'Un cœur simple, Trois contes de G. Flaubert (p. 164) donné à titre d'évaluation formative, sans compter cinq autres extraits très courts: un de P. Dupuis, un de Out-El-Kouloub, un de A. Chédid, un de M. Dib  et un dernier de E. Zola donnés dans le cadre d'un travail sur les étapes du schéma narratif, et deux autres: un de R. Frison Roche et le deuxième de R. Queneau à titre d'exercices d'organisation chronologique du texte.


Pour la deuxième séquence, trois autres textes sont proposés. Il s'agit de :La clé d'or de Grimm (p.166), L'obsession de Stefano de D. Buzzati (167) et Les tortues de mer de B. Clavel (p. 170).


Pour ce qui est, enfin, de la troisième séquence, neuf autres extraits sont proposés et se suivent ainsi :Le chef de D. Buzzati (p. 171), un extrait du Le vieil homme et lamer d'E. Hemingway (p.173),un extrait de Histoire de ma vie de T. Amrouche, Dans la tempête de P.Loti, un extrait de Les Chouan de Balzac (p.176), Vie de marin de D. Buzzati (p. 178-179), Le loup et l'agneau de De la Fontaine (p. 180),et un autre extrait du Le K de D. Buzzati(p. 183) à titre d'évaluation formative en plus d'un dernier extrait de Le rêve d'E. Zola (p. 186) donné à titre d'évaluation certificative.


Autant dire que si l'on fait confiance au texte littéraire, il n'y a pas mieux surtout qu'il n'est pas indispensable d'utiliser exclusivement les textes que proposent les manuels scolaires et que les enseignants, comme le rappellent souvent les inspecteurs, ont toute la latitude d'opter pour ceux qu'ils jugent adéquats à condition d'être dans la rigueur et le respect des objectifs assignés à chaque séquence pédagogique. Il n'y a pas mieux parce que les séquences permettent de faire l'alternance entre œuvre intégrale et extraits pour travailler certaines notions littéraires: narrateur, personnage, focalisation, récit (p.155), situation initiale, déroulement des évènements, situation finale,  schéma narratif (p. 156, 1184 et 187), personnage central, lieu et temps de l'action, élément perturbateur, faits vraisemblables ou invraisemblables (p.159), évolution heureuse, malheureuse ou cocasse (p.166), forces agissantes (sujet, objet, adjuvants, opposants) (p.170) pour ne citer que ces constantes. Il n'y pas mieux parce que ces dites constantes à faire découvrir, en lien avec le magique, le merveilleux et l'extraordinaire sont susceptibles de faire naître chez l'apprenant les échos et les émotions qui donnent le gout de la lecture autonome. Il n'y a pas mieux parce qu'il y a une manifeste tendance à problématiser la lecture, à prendre en charge la valeur qui se dégage du texte via des questions du genre: « Quelle morale pouvez-vous dégager de ce récit ?» (p.170). Il n'y a pas mieux parce que c'est aussi l'occasion (p.159) d'enraciner le texte littéraire « dans un travail fécond d'intertextualité » (Fourtanier et Langlade, 2000: 10). La liste n'est qu'expéditive alors.


Ceci étant dit, il est temps de montrer comment les niveaux d'analyse sus rappelés sont répercutés dans les questionnements relatifs aux textes à étudier. Nous discuterons l'exemple de la novelle intitulée Le K de D. Buzzati, texte qui s'étale sur deux pages du manuel de 1ère AS (p. 153-154). Ce texte est suivi de deux types de questions : questions d'observation et questions de lecture analytique.


Pour la phase Observation, comme il est souvent le cas dans les manuels du secondaire, les questions sont relatives au paratexte pour susciter l'attente et amener les apprenants à formuler des hypothèses avant même de lire le texte. Une manière bien particulière d'amener ces derniers à être dans le futur du texte. Pour le cas présent, deux questions, en lien l'une avec l'autre, sont posées :


A quels mots la lettre "K" vous fait-elle penser ?

Lequel de ces motspourrait être le titre d'une œuvre ?


Cette phase est suivie de la Lecture analytique où une suite de questions, de niveaux divers, sont présentés à la queue leu leu ainsi :

●  Relevez les temps et les pronoms personnels utilisés dans ce texte. Qu'en déduisez-vous ?

●  Relevez tous les êtres qui figurent dans ce texte. Quels sont ceux qui y jouent un rôle important ?

●  Le narrateur (la voix qui raconte) fait-il partie de l'histoire ? Justifiez votre réponse.

●  Où et quand se passe l'histoire ? Pouvez-vous répondre à ces deux questions sur la base des informations données dans le texte ?

●  Sur quel personnage le texte nousdonne-t-il le plus d'informations ? relevez ces informations comme pour établir une carte d'identité. Quel aspect du personnage n'est pas évoqué ? Pourquoi ?

●  relevez tous les termes ou expressions qui désignent le K au fur et à mesure de la progression du texte. Classez ces mots et expressions selon les personnes qui les utilisent. Quelle impression le narrateur a-t-il voulu créer ?

●  Comment le K est-il décrit ? Sur quel élément se focalise la description ? Quelle impression cela traduit ?

●  " Le K a jeté son dévolu sur toi ", quel sens donnez-vous à ce passage ?

●  Y-aurait-il eu matière à récit dans l'intrusion du "K" ? A quel autre moment du texte le récit aurait-il pu également s'arrêter ? Relevez l'expression qui déclenche la suite du récit. Qu'en déduisez-vous sur les possibilités d'évolution de l'action dans un récit?

●  Relevez les trois mots qualifiants Stefano qui correspondent aux trois étapes importantes du récit.

●  "A terre aussi tu feras fortune": à quelle autre phrase du texte celle-ci renvoie-elle ? Quel aspect du caractère de Stefano ces deux phrases nous révèlent-elles ?

●  Déterminez les parties du récit en complétant le tableau suivant


Toutes les questions sont travaillées en contexte, c'est à dire en rapport directe avec la lecture du texte. C'est pourquoi les expressions « dans ce texte », « dans le texte », « le texte », « du texte » ou encore «du récit » reviennent en boucle pour amener l'apprenant à faire le va et vient entre les questions et les données du texte et dont l'objectif est la construction du sens, par couches successives. Décloisonnés, les éléments de la langue (grammaire, conjugaison, lexique, etc.) ne sont alors plus étudiés pour eux mêmes mais deviennent des outils d'accès au sens.


Ces deux phases de lecture, observation et Lecture analytique, sont ensuite minutieusement articulées à des activités de production écrite mais aussi de production orale pour plus de fécondité. Des exercices relatifs aux techniques de compilation, résumés surtout, viennent compléter les activités construites autour du texte: « En vous aidant de la dernière colonne du tableau, résumer le récit» (p.156), « choisissez l'un de ces récits et imaginez une suite et une fin que vous raconterez brièvement » (p.159), « Imaginez un chapeau qui introduirait ce récit » (p. 160) ou encore « en vous appuyant sur ce que vous avez appris sr la structure d'un récit, vous résumerez le texte suivant » (p.164) ne sont que des exemples pour illustrer le propos.


2.3 - Le texte littéraire : une vérité en cache l’autre

Après avoir passé en revue, rapidement, la place et le mode d’emploi des textes littéraires dans les manuels du secondaire, le moment est venu pour interroger son utilité. Par utilité, nous entendons, cela va sans dire, les services que ce dernier est en mesure de rendre à la classe de FLE pour cette catégorie d’apprenants même si ce terme, service en l’occurrence, semble galvaudé depuis belles lurettes (Vandromme, 1963: 20). Néanmoins, pour les besoins de la cause, nous utiliserons, dans la suite de cet article, indistinctement avantage et utilité pour signifier la même chose.


Disons, pour commencer, qu’il semble difficile, dans les limites imparties à cet article, de recenser les avantages, tous les avantages que le texte littéraire recèle et qu’il n’est, par conséquent, pas question ici de prétendre à l’exhaustivité. La nature de l’objet est telle que les avantages qu’il est en mesure de procurer à la classe de langue sont très nombreux car touchant aux différentes dimensions qui sont les siennes (linguistique, culturelle, esthétique) à tel enseigne qu’il est devenu osé voir même périlleux de vouloir faire le tour de la question dans le cadre d’une réflexion de circonstance. Si par exemple pour Reuter (1991 : 91) il s’agit en gros de: « développer l’esprit d’analyse, développer les compétences linguistiques, développer les compétences en lecture et en écriture, développer les savoirs en littérature, développer le langage culturel de l’élève, développer son esprit critique, lui permettre de s’approprier un patrimoine, développer son sens de l’esthétique et sa sensibilité, lui faire prendre du plaisir, participer à la formation de sa personnalité », il n’est pas sûr qu’il ait fait le tour de la question, comme disait Séoud (2010).


Pour parer à un tel écueil, nous éviterons d’aborder cette question d’une manière globale, c'est-à-dire dans l’absolu. Nos humbles propos resteront, dans une large mesure, liés à l’enseignement/apprentissage du FLE pour la catégorie d’apprenants du secondaire où l’implication de ces dits avantages semble corrélée aux enjeux auxquels ils sont implicitement suspendus et sont souvent traduit, dans les contenus, en termes de finalités et d’objectifs à atteindre même s’ils ne sont pas toujours exprimés sur le mode de l’explicite.


Ceci étant dit, il est important de revenir à cette citation de Reuter pour dire que tous ces avantages exprimés sommairement par l’auteur trouvent, peu ou prou, leur écho dans les contenus d’enseignement/apprentissage du FLE au secondaire. Leur présence peut être ainsi vérifiée, surtout au niveau des finalités malgré le fait que les rédacteurs des programmes ne parlent que rarement, dans ces dits contenus, de texte littéraire.


Ainsi de son utilité pour les apprentissages linguistiques (syntaxe, lexique, modes et temps verbaux, organisation textuelle, etc.) dont tout à été dit ou presque dans la littérature scientifique. Le support est réputé pour ses potentialités et ses richesses en la matière et peut alors servir de prétexte pour le développement des compétences linguistiques des élèves. A ce titre, des expressions comme « laboratoire de langue » (Peytard, 1982), « réservoir lexical » (Albert et Souchon, 1995) ou encore « chair linguistique vivante » (Abdallah-Pretceille (2010) témoignent de l’idée que l’on se fait des pouvoirs du texte littéraire qui semblent satisfaire les exigences, en matière de maîtrise des savoirs linguistique, en vu d’en faire un outil de communication et d’accès au savoir.


Ainsi de son utilité culturelle que personne ne conteste aujourd’hui. Séoud (1997 : 65) disait, d’ailleurs, à son propos qu’il est « le lieu de croisement entre langues et cultures, comme savoir existentiel sur l’homme et le monde et, à ce titre, son enseignement peut répondre à une très grande diversité d’objectifs ». En effet, le texte littéraire à vocation de servir de lieu particulièrement propice pour l’appréhension de cette dimension, avant occultée mais aujourd’hui reconnue et prise en compte dans sa relation avec les apprentissages linguistiques tant les rapports entre ces deux dimensions paraissent, de nos jours, évidents. Faut-il rappeler qu’à ce titre Marie-Claude Albert et Marc Souchon (2000) disaient qu’« Il y a bien des manières en effet d'utiliser en classe le texte littéraire comme vecteur de données : on peut en faire un document culturel pour aborder certains faits de société; ou un réservoir lexical pour élargir le vocabulaire enseigné par l'introduction de lexèmes appartenant a des registres soutenus » ?


Ainsi de son utilité pour les apprentissages des fondamentaux, surtout en matière d’amélioration des compétences en lecture/écriture. Les élèves lisent, à ce niveau, des textes littéraires d’abord et avant tout pour apprendre à mieux lire. Il se trouve ainsi que les activités de lecture sont alors étroitement liées à celles d’écriture, permettant à l’apprenti-lecteur de développer ses capacités d’expression écrite.


Ainsi de l’utilité des niveaux d’analyse et des savoirs et savoir faire qui leur sont corrélés et qui sont susceptibles d’initier les élèves du secondaire aux reflexes méthodologiques. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’avènement de la lecture analytique, introduite récemment dans l’enseignement secondaire, pour proposer aux élèves des pistes à explorer, des angles d’attaques aussi qui sont susceptibles de diversifier les modes d’investigation et de réception des textes, condition nécessaire pour que l’autonomie de l’élève, face au texte littéraire, s’acquiert et se consolide davantage.


Ainsi de l’appropriation de la dimension patrimoniale. Les textes littéraires, comme toutes les œuvres d’art d’ailleurs, constituent le meilleur de ce que l’humanité a donné d’elle-même et sont considérés, ne serait-ce que sur le plan symbolique, comme un bien commun dont chaque génération jouisse autant qu’elle féconde à sa manière avant d’en faire lègue à la suivante. C’est alors peu de dire que l’un des rôles confiés à l’école aujourd’hui est donc de cultiver l’intérêt des élèves pour ce patrimoine, de les initier à ses richesses et de faire en sorte que certains auteurs, certains textes littéraires adaptés à leurs niveaux leur deviennent familiers.


Il s’observe ainsi que rien qu’au niveau des aspirations, trois sur quatre des finalités spécifique assignées au FLE (MEN: 2005 :25) semblent en lien directe avec les avantages que procure le texte littéraire, ceux cités par Reuter. Il s’agit de :


    ●  L’acquisition d’un outil de communication permettant aux apprenants d’accéder aux savoirs ;

    ●  (...)

    ●  La familiarisation avec d’autres cultures francophones pour comprendre les dimensions universelles que chaque culture porte en elle ;

    ●  L’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à son propre environnement, pour réduire les cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de paix.


Ainsi aussi des possibilités offertes pour initier les élèves aux univers du possible. Confrontés à un texte littéraire, l’élève au fil de sa lecture, recrée dans sa tête, le brin d’un moment et à sa manière, l’univers du texte, un décentrement nécessaire pour échapper, par moment, à son malaise existentiel car « tout homme a besoin, à l’occasion et à condition de ne pas s’y perdre, de s’oublier dans un espace potentiel et vicariant, de vivre d’autres vies par procuration, afin de pouvoir acquérir du recul par rapport à son existence et structurer son imaginaire » (Dufays et al., 2005: 132).


Ainsi de son utilité pour la formation du futur citoyen. Par delà les savoirs explicites et implicites dont il est dépositaire, ceux qui mènent à l’amélioration des compétences de l’élève, le texte littéraire est aussi le lieu propice aux activités qui mobilisent les hautes facultés de l’être et qui paraissent utiles pour l’exercice de son intelligence et de ses compétences de jugement critique, nécessaires pour l’exercice de sa citoyenneté.


Ainsi des possibilités offertes pour la socialisation des apprenants. L’appropriation des valeurs dont les textes littéraires sont porteurs, ceux relatifs au vivre ensemble et au respect de la différence doivent avoir la place qui leur revient. Le texte littéraire est alors à prendre en considération dans le cadre d’une approche qui dépasserait le seul souhait d’enseigner le FLE pour devenir un levier de formation et de socialisation de l’homme, c'est-à-dire du futur citoyen, ce sur quoi insistent les finalités du système scolaire:


    ●  La formation intellectuelle des apprenants pour leur permettre de devenir des citoyens responsables, dotés d’une réelle capacité de raisonnement et de sens critique ;

    ●  Leur insertion dans la vie sociale etprofessionnelle.


Convaincus de la pertinence de cette dimension, Fourtanier et Langlade (2000 : 13) interrogent, non sans raison, l’impact qu’ont les  savoirs sur la langue et sur les textes sur la formation de l’homme pour mieux les graver dans le marbre: « quelle serait l’efficacité de savoirs sur la langue et sur les textes, quel serait le sens d’une virtuosité herméneutique qui ne s’inscriraient pas dans un ensemble plus large que la langue, les textes et les œuvres, c'est-à-dire la formation de l’individu, l’éducation à la citoyenneté, et qui ne conduirait pas à une interrogation sur soi-même, sur le monde et sur les autres ? ».


C’est, donc, parce que le destin du texte littéraire échappe, en partie, à son auteur et aux conditions sociohistoriques de son évènement qu’il devient à la fois vecteur d’apprentissage (linguistiques, culturels, interculturels, de la singularité, de l’altérité, etc.) qu’un puissant moyen pour le développement de l’être: affectif (identification aux personnages), social (empathie et ouverture à la réalité multiculturelle), cognitif et métacognitif (développement du raisonnement et de la pensée critique) et permettrait ainsi la corrélation entre enjeux rationnels et enjeux passionnels dont parlent Dufays, Gemenne et Ledur (2005: 127-134).


Ce rappel rapide de quelques avantages du texte littéraire gagne, nous semble-il, en précision à être articulé aux éléments constitutifs de la littérature (compagnon, 1998: 25) : l’auteur, le livre, le lecteur, une langue et un référent. En effet, considérant leur âge et leur niveau,  il nous semble que l’utilité du texte littéraire, pour les apprenants du secondaire, se joue autour de ces cinq éléments:


    ●  L’auteur. Dans les textes littéraires, les élèves apprennent d’abord et avant tout des noms d’auteurs. Si connaitre un nom d’auteur étranger revient nécessairement à jeter les premiers ponts avec une culture autre, et souvent, une époque autre, une génération autre, une autre manière de penser autre, etc., c’est aussi souvent l’occasion, pour l’élève de faire ses premiers choix d’auteurs à découvrir, dans le cadre de l’élaboration et de la mise en perspective d’un projet personnel de lecture.


    ●  Le livre ou le texte littéraire. Le texte littéraire, extrait ou dans version  intégrale (La nouvelle, pour ce niveau), en même temps qu’il permet à l’élève de se livrer au braconnage dont parlait Certeau, d’avoir droit au bovarisme et de consolider ses liens avec cet univers particulier de l’écrit, est l’occasion propice à saisir pour s’en servir, en classe, en vue de rehausser le niveau culturel de l’élève et satisfaire sa curiosité en matière de culture étrangère. Il s’en faut, parfois, de peu pour que l’élève en profite copieusement des potentialités que cet objet recèle. A titre d’exemple, le litre d’un texte littéraire, relié à son auteur, constitue un plus non négligeable dans le développement de la compétence encyclopédique de l’élève. Au fil des apprentissages et de ses rencontres avec les textes, l’élève construit son propre répertoire de textes littéraires à découvrir, ce qui va dans le sens du projet de lecture dont nous parlions, en haut.


    ●  Le lecteur. Connaitre des noms d’auteurs et des textes, à cet âge, c’est bon signe. Avoir des projets de lecture, en perspective aussi.  Apprendre à adopter une posture de lecture autonome face aux textes littéraires, en classe comme dans la sphère privée, tout en déployant les moyens nécessaires pour en tirer profit, c’est nécessairement mieux et c’est seulement arrivé à ce stade, à savoir l’autonomie face au texte littéraire, que la portée du texte littéraire peut être appréciée à sa juste valeur.


    ●  La langue. En plus de la dimension linguistique que le texte littéraire permet d’exploiter, il est important de sensibiliser l’élève du secondaire à la spécificité de la communication littéraire, à ses subtilités et à ses finesses.


    ●  Le référent. Par référent, il faut entendre ce dont on parle dans un texte littéraire, à savoir l’univers fictionnel dans toute sa plénitude, qui se réfère à lui-même et qui fait du texte littéraire le réceptacle d’idées, de stéréotype, de mythes, de modes de vie, etc.  Ainsi, au-delà des signifiants immédiats que cet espace pluriel de la diversité linguistique et culturelle exploite, le texte littéraire permet d’établir, en classe de langue, des passerelles entre les cultures et de conduire, comme disait Gruca (2010:16) au dialogue interculturel.


Ces quelques rappels n’épuisent, certes, pas la question de l’utilité du texte littéraire pour l’enseignement du FLE au secondaire. Ils nous auront, cependant, permis de rappeler des pistes susceptibles d’être exploitées pour un meilleur rendement dans l’enseignement/apprentissage du FLE et stimuler la réflexion autour de cette question. 


Conclusion

Cet examen à la fois condensé et expéditif de la situation et de l’utilité du texte littéraire dans l'enseignement secondaire, nous aura permis, espérons-le, de mettre en évidence la place et l'utilité, intactes, de ce dernier dans l'enseignement/apprentissage du FLE en Algérie. Cela ne doit, cependant, pas nous faire oublier qu'à ses cotés, d'autres textes non littéraires ont droit de cité dans les programmes. Si pour ce qui est des textes fictionnels, Picard et Jouve (in Dumortier, 2001:129) distinguent, chacun à sa manière, diverses instances qui se complètent dans le lecteur du texte fictionnel, instances qui ont permis d'éclairer, d'un jour nouveau, l'utilité du texte littéraire, il ne faut surtout pas oublier que  le texte non fictionnel dont le mérite est de faire comprendre le monde doit avoir toute sa place à coté du texte littéraire pour une meilleure complémentarité entre ces deux types de textes qui se partagent  l'espace de la classe de langue. N'est-ce pas ce qu'il faut surtout penser pour mieux parvenir à atteindre les finalités de l’enseignement du FLE au secondaire ? Telle est l'une de nos préoccupations dans notre thèse en cours. Par delà leur spécificité, nous proposons pour terminer, de revisiter la complémentarité de leur utilité à travers la double notion de l'homme diurne (le rationnel, le prudent)/l'homme nocturne (le rêveur, le méditatif) que ceux-ci permettent, à des degrés divers, de réaliser et d'atteindre.



Abdallah-Pretceille, M.(2010). « La littérature comme espace d’apprentissage de l’altérité et du divers » in Synergie Brésil n° spécial 2.

Albert, M-C et Souchon, M. (2000). Les textes littéraires en classe de langue. Paris : Hachette.

Canvat, K. (2000). « Quels savoirs pour l'enseignement de la littérature ? Réflexions et propositions ». in Fourtanier, M-J et Langlade, G. (2000). Enseigner la littérature. Actes du colloque Enjeux didactiques des théories du texte dans l'enseignement du français IUFM Midi-Pyrénées. Toulouse: Delagrave Édition et CRDP Midi-Pyrénées

Dufays, J-L. et Gemenne,  L. (1995). « De l'analyse textuelle à l'appropriation personnelle des textes », Le français aujourd'hui n° 112,  p. 72-79

Dufays, J-L. et Gemenne,  L. et Ledur, D. (2005). Pour une lecture littéraire. Histoire, théories pour la classe.  Bruxelles: De Boeck (2ème édition).

Dumortier, J-L. (2001). Lire le récit de fiction. Pour étayer un apprentissage: théorie et pratique. Bruxelles: de Boeck.

Fourtanier, M-J et Langlade, G. (2000). Enseigner la littérature. Actes du colloque Enjeux didactiques des théories du texte dans l'enseignement du français IUFM Midi-Pyrénées. Toulouse: Delagrave Édition et CRDP Midi-Pyrénées.

Gruca, I. (2010). « Les enjeux de la littérature en didactique des langues-cultures : entre identité et altérité ». In Actes du colloque international des 4 et 5 juin 2009. Athènes : Éditeurs scientifiques : F. Tabaki-Iona, A. Proscolli et K. Forakis

Legros, G. (2000). « Quelle littérature enseigner ? » in Fourtanier, M-J et Langlade, G. (2000). Enseigner la littérature. Actes du colloque Enjeux didactiques des théories du texte dans l'enseignement du français IUFM Midi-Pyrénées. Toulouse: Delagrave Édition et CRDP Midi-Pyrénées.

Sartre, J-P. (1948). Qu'est-ce que la littérature ? Paris: Gallimard.

SÉOUD, A. (1997). Pour une didactique de la littérature en classe de FLE. Paris: Didier.

SÉOUD, A. (2010). « L’enseignement de la littérature en classe de FLE. De l’explication de texte à la lecture ». In Actes du colloque international des 4 et 5 juin 2009. Athènes : Éditeurs scientifiques : F. Tabaki-Iona, A. Proscolli et K. Forakis

Vandromme, P. (1963). Céline. Paris: Editions Universitaires.


Documents pédagogiques :


Djilali. K., Boultif, A. et Lefsih, A. (2005/2006). Français 1 Première année secondaire Lettres. Alger : ONPS.

Document d’accompagnement du programme de 1ère année secondaire (version électronique).

Zegrar. B., Boumous, A. et Betouaf, R. (2006/2007). Français 2 Deuxième année secondaire. Alger : ONPS.  

Zegrar.B., Boumous, A. et Betouaf, R. (2008/2009). Français 3 Troisième année secondaire. Alger : ONPS.  




 [1]Document d’accompagnement des programmes de 1ère AS.


Pour citer cet article:

Nasredine BOUACHE, « Du texte littéraire et de son utilité en classe de langue », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.123-150




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