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Numéro 09 thématique de la revue Didactiques


Littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques


La didactique du français et les profils des postulants des universités au Sénégal

Ibrahima Ba
Université de Thiès, Sénégal.

ISSN: 2253-0436 | Dépôt Légal: 2460-2012

Résumé | Plan | Texte integral | Bibliographie | Notes | Annexe | Citation - Téléchargement

Au Sénégal, les parents d’élèves, les enseignants, les administrations publiques et privées, le monde professionnel, tous les acteurs de l’école sont unanimes à reconnaître le manque de maîtrise de la langue française par les élèves et étudiants. Le rapide survol historique de l’enseignement du français aux paliers élémentaire, moyen et secondaire, laisse entrevoir un bilan qui renseigne largement sur la problématique de sa didactique aux différentes étapes de l’évolution des méthodes pédagogiques mises en place. Dans le contexte sénégalais d’un multilinguisme restreint où la langue wolof étouffe toutes les autres, étend partout son empire mais garde encore, hélas, le statut de langue seconde, le français, bien que perdant du terrain, restera pour longtemps, le véhicule du savoir et du savoir-faire scolaires. En attendant le recours à des mesures structurelles qui repensent en profondeur notre système éducatif, le diagnostic appelle l’adoption urgente des propositions de remédiation eu égard à l’importance des enjeux de la question. Ces procédés de renforcement se résument à des stratégies, artifices et autres recettes propres à améliorer sensiblement l’usage du français par les élèves sénégalais.
Mots clés : Langue française, enseignement, didactique, langue wolof, système éducatif, baisse du niveau, pédagogie, stratégie, méthodes, multilinguisme, élèves, théâtre, lecture, remédiation.

In Senegal, it is a truism to say that the level of French of those who knock at the door of our universities is declining with an alarming rhythm. Indeed, the observation is unanimously acknowledged by all players and partners education. The fast historic overview of the teaching of French in primary, secondary and high schools allows to catch a glimpse of an assessment which informs widely about the problem of its didactics in the various stages of the evolution of the established educational methods. In the Senegalese context of a restricted multilingualism in which Wolof language suppresses all the others, spreads everywhere its empire but still keeps, regrettably, the status of second language, French, although losing ground, will stay for a long time the vehicle of school knowledge and know-how. While waiting for the return to structural measures which rethink in depth our education system, the diagnosis calls for the urgent adoption of the remediation proposals concerning the importance of the issues of the question. These strengthening processes consist of strategies, devices and other combinations appropriate to improve appreciably the use of French by Senegalese pupils.


    ●    Introduction

    ●    1 - Contexte

    ●    2 - La situation de l’apprentissage scolaire de la langue française

    ●        2.1 - Aperçu historique

    ●        2.2 - La didactique actuelle  du  français  et problèmes

    ●            2.2.1 – L’enseignement du français  dans le curriculum  de l’éducation de base

    ●        2.3 - L’environnement socio- professionnel

    ●    3 - Des propositions de remédiation

    ●        3.1 - Remédiation intra muros

    ●        3.2 - Remédiation extra muros

    ●    Conclusion



Introduction

L'enseignement du français mérite une réflexion critique eu égard à la place de cette discipline dans les maquettes pédagogiques et à la baisse unanimement constatée de l'expression écrite et orale des étudiants dans cette langue. Bien que le phénomène ne soit pas propre au Sénégal et qu'il reste aujourd'hui une préoccupation internationale, le manque de maîtrise de la forme écrite et orale de la langue française constitue un fait d'emblée remarquable dès qu'on est en contact direct (par un dialogue oral) ou en liaison indirecte (par les exercices ou évaluations en cours) avec la communauté estudiantine de nos institutions supérieures. La réforme universitaire, en instaurant le système Licence – Master –Doctorat (LMD), a accordé une importance particulière à la maîtrise des langues. Le français détient une place de choix dans cette réforme d'autant plus qu'il est la langue de l'enseignement de l'essentiel des disciplines de l'université (sciences économiques, droit, mathématiques, informatique, etc.) De surcroît, il demeure la langue officielle et celle de la profession, du service administratif et privé. Cette réflexion sur une question fondamentale touchant à la didactique du français propose un examen de cet enseignement, une analyse critique des apprentissages au niveau élémentaire, moyen et secondaire. Elle interrogera le contexte, les curricula, les pré - requis, les maquettes pédagogiques, l'environnement social et professionnel des apprenants avant leur entrée à l'université et indiquera modestement quelques pistes de remédiation.


1 - Contexte

Le manque de maîtrise de la langue française par nos étudiants et élèves est unanimement constaté par tous les acteurs du système scolaire. Les études récentes effectuées par le Laboratoire de Recherche en Transformations Economiques de l'Institut fondamental d'Afrique Noire de l'Université Cheikh Anta DIOP de Dakar à travers son programme « Jangando » confirme cette tendance baissière à travers des tests effectués en 2014 sur des cibles représentatives des différents niveaux de l'école. Le rapport mondial de suivi Education 2013-2014 de la Commission de l'UNESCO conforte ces résultats alarmants. Du fait de cette faiblesse dans notre médium de transmission de savoir par les apprenants, il devient un impératif de repenser l'enseignement de cette discipline en tenant compte des orientations fondamentales de notre système éducatif et des exigences de l'insertion professionnelle. Et ceci d'autant que le français, nous l'avons déjà indiqué plus haut, reste la langue officielle de notre pays, celle de l'enseignement, autrement dit l'instrument de communication qui sert à véhiculer la substance de toutes les autres disciplines. Les causes de cette défection peuvent être multiples mais nous analyserons d'abord celles qui semblent les plus manifestement identifiables  dans les cursus scolaires, dans l'environnement socioprofessionnel avant de débusquer ensuite celles insidieuses, camouflées dans la vie et les comportements culturels des sénégalais. Force est de reconnaître que porter un remède à l'affaissement du niveau en français requiert le réaménagement des programmes et des stratégies pédagogiques pour adapter cet enseignement à la situation actuelle de l'école, de la société sénégalaise et à la pratique correcte du technolecte des disciplines de spécialité des étudiants, leur futur médium d'activités professionnelles.


2 - La situation de l'apprentissage scolaire de la langue française

 En remontant l'exploration des programmes de français depuis l'élémentaire jusqu'au moyen secondaire et, nous avons plus obéi à un effort de concision et de cadrage du volume aux proportions de cette modeste étude qu'à une volonté délibérée d'ignorer l'étape que nous savons pourtant cruciale de l'enseignement préscolaire. Nous ne manquerons pas, cependant, de nous y référer pour apporter un éclairage sur certains aspects de la formation initiale.


2.1 - Aperçu historique

- De la période coloniale à l'indépendance


L'enseignement du français au Sénégal, hérité de la colonisation, fondait son principe sur un système scolaire à but assimilationniste. Le colonisateur tendait à faire adopter sa langue, sa culture et toutes ses valeurs de civilisation aux populations autochtones placées sous sa tutelle. Ses méthodes d'enseignement s'articulaient autour de l'écrit avant d'aborder l'oral. Pour chaque matière enseignée, la méthode préconisait de partir de l'élément vers l'ensemble. En lecture, par exemple, le pointillisme était de rigueur ; le maître faisait directement découvrir la lettre comportant un son, puis la syllabe, le mot, pour aboutir à la phrase. Pour l'organisation des phrases, on enseignait la grammaire normative. Ces méthodes étaient appelées des méthodes analytiques ou synthétiques et étaient d'une très grande importance pour les apprentissages. Elles partaient toujours du particulier au général.


A cette époque au Sénégal, comme partout ailleurs, une minorité accédait à l'enseignement supérieur. L'écrasante majorité servait dans l'administration coloniale comme auxiliaires. Ainsi des maîtres d'école, des médecins indigènes et des fonctionnaires subalternes furent formés dans différents corps de métier pour servir les intérêts de la métropole. Ils utilisaient tous la langue française dans l'exercice de leurs fonctions. Un fait reste constant : tous ceux qui sont sortis de ces écoles s'expriment et écrivent bien en français. Mbaye Guèye Anna, un cadre de la première génération formé à l'école coloniale et collaborateur de l'égyptologue Cheihk Anta Diop, précise :


« On a qu'à garder ce qui existait ! Nous qui avons appris par i, u, o, a, e ; t, p, n, m ; Pathé tape Toto, Toto tape Pathé etc., nous lisons et parlons français mieux que ceux qui ont fait la méthode globale et semi- globale, et écrivons mieux et nous faisons moins de faute. Revenons à l'orthodoxie, n'ayons pas honte. Tu t'en vas, là où tu vas il y a un cul de sac, mais reviens en arrière ! Mais nous persistons, malheureusement ! Le problème de l'école sénégalaise, c'est que les élèves font semblant d'étudier, les professeurs font semblant d'enseigner et l'Etat fait semblant de payer. C'est aussi simple que cela. »[1]


Même s'ils ont le niveau du certificat d'études élémentaires, ils manipulent avec beaucoup d'aisance et de dextérité la langue de Molière. Reconnaissons que tous les intellectuels nés avant et un peu après les indépendances ont pris contact avec la langue française par le biais de la méthode syllabique. Quel était le secret de cette réussite pédagogique ?


Un intellectuel, Amadou DIALLO témoigne :


« Depuis le début des années 1970-1980, il a eu plusieurs tentatives de remise en cause du système pédagogique hérité de la colonisation qui malgré tout ce qu'on avait pu lui reprocher, avait pour effet de mettre des enfants, souvent très âgés (entre huit ans et douze ans) en contact direct avec un français soigné en les plaçant dans un environnement hermétique à toute autre influence linguistique que le français normé. La plupart de ces nouveaux recrutés à l'enseignement élémentaire avaient une solide acquisition de la langue première par un bain linguistique prolongé dans le milieu familial et avaient, en plus, très souvent aussi une bonne faculté de mémorisation due à la récitation des sourates du Coran. En plus de ces préalables cognitifs, les enseignants étaient choisis parmi l'élite de l'époque, s'ils ne sont pas français, et étaient bien rémunérés et surtout socialement bien considérés. La fonction enseignante étaient alors valorisée et valorisante. On comprend alors qu'une méthodologie d'apprentissage basée sur la mémorisation-application de règles et pratiquée par des enseignants motivés puisse obtenir quelques résultats satisfaisants. »[2]


Quand bien même le dessein avoué ou non de cette politique éducative fut assimilationniste, l'objectif visé était largement atteint : faire maîtriser l'expression orale et écrite du français et la culture qui l'englobe aux jeunes nègres à qui le pouvoir colonial faisait croire qu'autant leur langue, leurs coutumes et mœurs se trouvaient en dehors du monde « civilisé ». Il cherchait, par ce biais, à leur faire renier leur patrimoine culturel, leur insufflant ainsi savamment le complexe d'infériorité.


- De la période postcoloniale


Aussitôt après les indépendances, les nouvelles autorités du pays, sous l'impulsion de Monsieur Mamadou Dia, président du conseil du premier gouvernement de la République du Sénégal, prirent une série de résolutions politiques pour opérer une rupture d'avec les anciennes méthodes d'enseignement coloniales, au demeurant, très sélectives. Pendant la loi cadre, le gouvernement opta pour de nouvelles orientations en vue de juguler l'assimilation culturelle française pour se tourner essentiellement vers les besoins réels du pays en matière de formation scolaire en vue d'appuyer le développement socioéconomique. IL devenait urgent alors de repenser l'enseignement en le réadaptant à nos propres valeurs. C'est ainsi que de nouvelles bases furent jetées pour l'implantation d'écoles rurales à vocation agricole dans les villages en vue de fixer l'enfant dans son milieu naturel. Il apprendra le français à coté des langues nationales. Mais malgré les timides velléités de changement, les mêmes méthodes coloniales furent à peu prés maintenues ; en atteste, la promulgation de la loi 71-36 du 03 juin 1971 portant orientation de l'éducation nationale et de ses décrets d'application, l'enseignement sénégalais était régi par l'arrêté 25-76 du 22 aout 1945, exception faite des décrets 59-109 et 59-158 d'août et septembre 1959 portant organisation de l'enseignement primaire dans l'éphémère fédération du Mali que partageaient le Sénégal et le Soudan malien, et la circulaire 11-450 du 08 octobre 1962 fixant les horaires et programme de l'enseignement primaire. Ce texte fut suivi par une circulaire qui avait pour objet de  préciser et de détailler ces horaires et programmes, de proposer des emplois du temps, des répartitions mensuelles adaptables avec quelques retouches dans toutes les écoles du Sénégal. Ces deux circulaires étaient appelées « éducation sénégalaisen°2 ». Ceci montrait qu'il y a eu une nécessité et une volonté de vouloir adapter le système éducatif aux réalités nationales après les indépendances. Officiellement, leur élaboration a été motivée par le projet d'adapter l'enseignement du français aux besoins culturels et économiques d'un jeune Etat indépendant et ouvert au monde. Les impératifs de développement et de coopération internationale incitèrent les autorités à favoriser l'utilisation des méthodes actives pour enseigner le français à côté des langues nationales. Le français, ayant une place très privilégiée pour une raison historique, il fallait donc recourir à la coopération française pour l'encadrement des enseignants car cette langue était unique dans l'enseignement officiel dans l'élémentaire. La grande rupture n'a donc pas eu lieu et en 1962, les événements politiques qui occasionnèrent des troubles dans le pays n'ont pas facilité cette césure avec la grande crise institutionnelle qui a fini par l'arrestation et l'incarcération du Président Mamadou Dia. On constata donc l'échec de la ruralisation de l'école prônée par Dia. Le président Senghor en bon défenseur de la langue française consolida l'enseignement de cette langue en faisant appel aux coopérants français pour une réforme en profondeur du système. Il préconisait l'adaptation de l'enseignement aux réalités socioculturelles sénégalaises avec des contenus qui tiennent compte du contexte dans lequel vivent les élèves.


- L'introduction de l'enseignement du français par les nouvelles méthodes : Pour parler français.


Profitant de l'implantation de l'institut français d'Afrique noire (IFAN) précoloniale, devenu ensuite Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN), puis Université Cheikh Anta Diop, en collaboration avec le Centre de Linguistique Appliqué de Dakar (CLAD), ces institutions furent chargées de réfléchir et de mettre au point de nouveaux dispositifs permettant de réformer l'enseignement du français auquel tenait tant le Président sénégalais qui, on le rappelle, s'était déjà prononcé sur le choix de cette langue en tant que langue de travail en la magnifiant en ces termes :


« Dans le choix de la langue à enseigner dans nos établissements, la question n'est pas de savoir si la langue d'enseignement sera autochtone ou non mais il s'agit de choisir une langue pour ses vertus propres, ses vertus d'éducation, de ce point, langue de gentillesse et d'honnêteté qu'est le français. Il s'impose alors. Je ne reviendrai pas sur les qualités d'ordre et de clarté qui ont fait du français pendant trois siècles une langue universelle, singulièrement la langue de la science et de la diplomatie. Ce que je veux ajouter c'est que le français est aussi une langue littéraire, voire une langue poétique. Elle est apte à expliquer aussi bien les sentiments les plus mobiles, les plus forts, que les plus délicats et les plus troubles, aussi bien le soleil de l'esprit que le soleil abyssal de l'inconscient ».[3]


Le président Senghor évoque ici les raisons qui fondent sa détermination à maintenir le français comme langue d'enseignant au détriment des langues locales. Ainsi, à la rentrée d'octobre 1965, le ministre de l'éducation nationale annonce des réformes pédagogiques touchant le français. Les enquêtes menées par le CLAD révèlent qu'il y a eu trop de distorsions, d'africanisme et de déformation dans le français parlé ou écrit au Sénégal. Une comparaison faite des langues locales et du français a permis à l'équipe du CLAD de s'appuyer sur ces remarques pour réformer la pédagogie du français dans l'enseignement au Sénégal.


Le CLAD s'était fixé comme objectif de promouvoir l'enseignement du français en tenant compte du contexte sénégalais. Il s'avérait nécessaire de l'adapter aux réalités du terroir et d'accepter que son principe d'apprentissage soit abordé selon les méthodes valables pour une langue étrangère. Décelant les usages articulaires habituels des langues maternelles dans l'élocution, les interférences survenues dans l'apprentissage du français sur le plan morphologique, syntaxique et lexical, furent corrigées.


En proposant aux autorités sénégalaises la méthode « Pour parler français »[4], l'objectif recherché est d'adapter les buts, les objectifs et les méthodes de l'enseignement du français aux nouvelles finalités de l'école sénégalaise dans un pays nouvellement indépendant. Il s'agira d'élaborer, et de mettre en œuvre un nouveau type d'enseignement en rupture d'avec la préoccupation du colonisateur. L'expérimentation de cette méthode commença par une classe. Elle était dirigée par des linguistes et des pédagogues français et sénégalais. Ils ont mis en place des textes de lecture avec des centres d'intérêts et beaucoup d'exercices sélectionnés par une commission nationale dans laquelle figuraient des directeurs d'écoles. Pour ces pédagogues, tout apprentissage d'une langue commence par un « bain linguistique  » pour que les élèves puissent la comprendre, l'utiliser et la maîtriser. Il faudra donc mettre l'enfant dans un lieu où il entendra de manière fréquente un français impeccable, qu'il répétera incessamment afin de pouvoir l'utiliser correctement pour ses besoins de communication future. Les options de la commission seront subséquemment traduites en orientations fondamentales concernant l'apprentissage du français. Il y aura donc une grande priorité de la langue orale sur la langue écrite pendant au moins un trimestre avant l'apprentissage de la lecture. Les leçons de langage seront entamées avant l'apprentissage de la lecture autour de dialogues vivants liés à des situations familières avec l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Ces nouveaux supports pédagogiques que sont l'audiovisuel (radio et télévision) seront intégrées dans les enseignements-apprentissages. La linguistique structurale sera utilisée pour corriger les difficultés phonétiques et grammaticales. Les méthodes actives accompagneront toutes les démarches pédagogiques. Nous donnons deux exemples de matières essentielles dans l'apprentissage du français. Une leçon de langage comprendra quatre phases :


1 - mettre les élèves en situation d'apprentissage en leur présentant des dialogues (dits par la radio) avec explication du maître pour aider à la compréhension du dialogue ;


2 - répétition intensive des dialogues ;


3 - mémorisation des dialogues ;


4 - dramatisation ou réemploi autonome des dialogues.


En lecture, il faut partir d'une phrase globale pour isoler le mot, puis la syllabe et enfin extraire la lettre contenant le son à faire acquérir ; puis il s'agira d'aller de la lettre pour aboutir à la syllabe, au mot et à la phrase ; d'où l'utilisation à ce niveau de la méthode mixte au point de départ. L'application effective de la méthode qui a commencé en 1965 avec un objectif limité juste à l'expérimentation en cours d'initiation (CI), aboutira en 1969 à la systématisation au niveau de deux cents (200) classes en troisième année au cours élémentaire première année (CE1). Ces trois premières années d'expérimentation furent généralisées de 1972 jusqu'en 1980, année où cette méthode fut sévèrement décriée par les acteurs de l'éducation car comportant, aux yeux des maîtres contraints de l'appliquer, énormément d'insuffisances. Rappelons d'ailleurs à cet effet que c'est le décret 72-861 du 13 juillet 1972 portant organisation de l'enseignement élémentaire qui a validé cette méthode. Curieusement, c'est avec l'imminence du départ de Léopold Sédar Senghor de la présidence de la république que beaucoup de voix s'élevèrent pour remettre en cause la méthode CLAD. Et sans même l'évaluer, il fut décidé lors des Etats généraux de l'Education et de la Formation de sa suspension provisoire, du moins dans le volet en rapport avec l'utilisation des supports audiovisuels. La diffusion des dialogues par la radio scolaire nationale fut tout simplement arrêtée. Les pourfendeurs trouvaient qu'elle privilégiait les facultés auditives au détriment celles du visuel et de l'écrit.


La majorité des enseignants reprochait à la méthode de rendre les élèves faibles en orthographe car l'utilisation des supports pédagogiques que sont la radio et la télévision leur ôtait leur autonomie d'initiative en les confinant à animer des figurines accrochées sur des tableaux de feutre pour accompagner les dialogues émis par des français de souche ou des professionnels du théâtre à travers la radio que les élèves s'évertuaient à imiter pour parler un français correct, respectueux de la diction, de l'articulation et de la prononciation. A l'arrivée, le constat établi en général par les spécialistes de l'éducation et par les parents d'élèves reste sans appel : des améliorations phonétiques sensibles furent apportées à l'élocution des apprenants mais la méthode n'a pas réussi à faire maîtriser les règles orthographiques et syntaxiques fondamentales et, par voie de conséquence, c'est l'expression écrite des élèves qui en accuse un sacré coup. En outre, habitués au mimétisme mécanique des dialogues de la radio, les jeunes élèves réussissent difficilement à développer une autonomie linguistique expressive orale et écrite. Seule l'habileté de certains enseignants chevronnés qui surent cultiver très tôt, par divers artifices ingénieux, l'amour d'une lecture régulière et variée, parvint à pallier ces défections. Mais pour le plus grand nombre, ces carences subsisteront jusqu'aux cycles moyens et secondaires.


- De la période post états généraux de l'éducation et de la formation


Aussitôt après les états généraux de l'éducation et de la formation, tous les enseignants de l'élémentaire étaient conviés à un nouveau stage de formation pendant les vacances pour aborder une phase intermédiaire suivant les orientations issues des travaux des commissions érigées à cet effet. Cette orientation prônait une école démocratique et populaire qui offre à tous les élèves, les mêmes chances de réussite sociale et personnelle devant rehausser le niveau de vie des populations pour les bénéfices du pays. A l'issue de leur formation, il n'y a cependant pas eu de changement notoire dans les démarches pédagogiques préconisées. C'est le décret 79-861, organisant l'enseignement élémentaire sur le plan de la programmation des matières, horaires et disciplines scolaires, qui a servi de référence au personnel enseignant pour élaborer les contenus d'enseignement. Il faut cependant noter que pendant cette période transitoire, tout le matériel pédagogique et didactique (manuels scolaires, tableaux de feutre, figurines) hérité de la méthode CLAD fut conservé dans l'élaboration des fiches pédagogiques ; tout ce potentiel est renforcé par l'entrée de la pédagogie par objectif (PPO). C'est dire donc que pendant une décennie, les maîtres ont travaillé avec les contenus du CLAD à quelques exceptions près. Ces derniers, se réjouissant de retrouver leur autonomie d'action par la suppression totale des supports audiovisuels qui jouaient un rôle important dans les enseignements apprentissage, virent s'ouvrir, pour eux, des perspectives d'innovation pédagogique pour une amélioration de la qualité de l'enseignement.


Aujourd'hui, une nouvelle décennie s'ouvre pour prendre en compte les besoins de développement endogène du pays tant sur le plan économique, civique et culturel. Il s'avère nécessaire alors de mettre au point de nouvelles méthodes pédagogiques en adéquation avec la formation et l'emploi. C'est pourquoi dans son dispositif, l'Etat du Sénégal met en place une nouvelle technique pédagogique : le curriculum de l'éducation dont les fondements s'appuient sur l'entrée par les compétences (APC) pour placer les apprenants dans les conditions de mieux servir leur pays et en se rendant plus utiles et plus efficaces dans le travail.


2.2 - La didactique actuelle du français et problèmes

Faudrait-il reconnaître que toute prospection sur les causes réelles de la baisse sensible du niveau de français des élèves du Sénégal doit se préoccuper avant toute chose de la revue critique des méthodes pédagogiques actuelles notamment celles contenues dans le curriculum de base, mais aussi celles des programmes de cet enseignement dans le moyen et le cycle secondaire. L'objectif n'est pas tant d'y déceler des insuffisances conceptuelles ou cognitives - de telles productions demeurent très souvent l'œuvre de grands pédagogues rompus à la tâche, dont nul ne peut douter certainement de la clairvoyance et de la rigueur dans la démarche - mais plutôt de vérifier l'adaptabilité de ces formats aux réalités organisationnelles et matérielles de nos institutions scolaires surtout publiques.


2.2.1 – L'enseignement du français dans le curriculum de l'éducation de base

Si nous tentons de donner un éclairage un peu réducteur au concept, nous dirons qu'une approche par compétence serait une stratégie d'apprentissage active qui mobilise tous les types de savoir pour la réalisation d'une tâche précise. Pourtant la stratégie peut prendre diverses formes qui varient suivant les niveaux des apprenants, les performances urgentes recherchées et les procédés combinatoires mis en place.


Aussi, existerait- il deux conceptions d'approche par les compétences qui ne sont pas contradictoires ; au contraire, elles se complètent ; mais chacune d'elles, s'appliquant à des paliers fondamentalement différents, cible des apprentissages prioritaires.


La première fondée sur le développement à l'école des compétences transversales, s'adresse à des élèves qui n'ont pas de problèmes dans les acquis de base.


Alors que la seconde qui s'appuie essentiellement sur les compétences de base, plus connue sous le terme de « pédagogie de l'intégration » vise prioritairement à faire acquérir des aptitudes qui, concrètement, vont leur permettre de s'insérer dans le tissu socio- économique.


Cette pédagogie de l'intégration qui est en cours dans l'élémentaire, recherche à apprendre à l'élève très tôt à gérer la complexité qui est faite :


- des acquis scolaires : les savoirs, les savoir- faire, les savoir-être ;


- des situations de la vie courante, des situations que l'élève sera appelé à rencontrer ;


- des compétences de vie qu'il sera invité à mobiliser pour résoudre les situations.


Ici, les acquisitions sont effectuées selon l'alternance de deux types d'apprentissage : les apprentissages ponctuels et les apprentissages de l'intégration. Pendant cinq semaines, l'enseignant développe les ressources nécessaires aux compétences en français par exemple : les règles de grammaire, la conjugaison, l'orthographe. Au cours de la sixième semaine, le maître suspend les apprentissages ponctuels, arrête complètement d'enseigner des choses nouvelles aux élèves. Pendant toute la semaine, et dans toutes les disciplines, il propose aux élèves de résoudre des situations complexes dans lesquelles l'élève doit mobiliser ce qu'il a appris pendant les cinq semaines précédentes (les ressources). Les élèves travaillent seuls ou par petits groupes pour tenter de résoudre ces situations.


Dans la première phase, les ressources peuvent être mises selon les méthodes traditionnelles ; celles actives ne sont pas exigées. Ce qui est imposé , en revanche, reste que toutes les six semaines, chaque enseignant propose aux élèves des situations complexes dans lesquelles il utilise ce qu'ils ont appris : aussi bien les savoirs, les savoir-faire que les compétences de vie. La production d'un écrit de trois phrases dans une situation significative de communication pour un enfant de huit ans pourrait constituer une situation complexe à résoudre, par exemple.


Dans un rapport de l'UNESCO, il est mentionné la remarque suivante :


« Quand les modules d'intégration sont mises en place, on commence alors à amener l'enseignant à faire évoluer ses pratiques de classe : au lieu d'enseigner de façon magistrale, il apprend à mener progressivement les apprentissages de façon active. Ce changement de pratique prend en général plus de temps pour s'installer de façon durable : il faut compter cinq à dix ans.  Ensuite il faut au moins deux pour qu'un enseignant prenne l'habitude de gérer ces modèles d'intégration»[5].


L'approche par les compétences rencontre l'adhésion de tous les acteurs de l'école. Le rapport souligne :


«  L'APC procure un gain en efficacité des systèmes éducatifs. Elle fait progresser tous les élèves : les élèves forts progressent, mais les élèves faibles progressent aussi, parfois davantage que les élèves forts. »[6]


En dehors du dispositif matériel adéquat qu'il requiert car chaque élève doit disposer de supports pour résoudre des situations complexes, cet enseignement nécessite l'intelligence et le savoir- faire de maîtres d'école bien formés. Or, le mode de recrutement des enseignants de l'élémentaire, depuis bientôt un peu plus de trois décennies, est soumis au tripotage malfaisant et indécent des pouvoirs étatiques successifs. Ensuite, en 1995, le gouvernement sénégalais, en vue d'élever sensiblement le taux brut de scolarisation (TBS) tout en évitant l'augmentation effrénée de la masse salariale, met en place le programme des volontaires de l'éducation (PVE).La porte était ainsi grandement ouverte pour perpétrer les abus les plus monstrueux en matière de recrutement d'enseignant. Les pouvoirs étatiques successifs, pour caser une clientèle politique, désœuvrée, de bas niveau et presque inculte, ils ne trouvèrent pas mieux que les écoles primaires publiques, portant par ce biais, un coup fatal à l'éducation des enfants du pays. Les dénominations les plus négatives leur sont accolées : « ailes de dindes », « volontaires de l'éducation », « quota sécuritaire », « corps émergent » ; tout y passe. C'est à peine si les inspections d'académie consentent à leur prodiguer hâtivement quatre à cinq mois de formation qu'elles voulurent, au départ, pédagogiques, mais qu'elles font vite de transformer en modules académiques de relèvement désespéré de niveau, du fait de la faiblesse intellectuelle criarde et inconcevable de ces « élèves –maîtres ». Il n'est pas besoin d'être un spécialiste en la matière pour se faire une idée des dégâts incommensurables que « ces enseignants d'une autre nature » vont commettre, une fois injectés dans le système. Leur massivité progressive - ils représentent, aujourd'hui, selon les statistiques plus de 52 % des effectifs des enseignants de l'élémentaire – demeure un indicateur certain du degré élevé de leur nuisance dans le secteur. La revue Nouvel Horizon en son numéro 954 du 23 au 29 avril 2015 rapporte :


« Entre 1996 et 2000, 1200 volontaires ont été recrutés par an ; ce qui a contribué selon le ministère à porter le taux brut de scolarisation à 68,3 %. Après 2000, l'instauration du Programme de développement de l'éducation et de la formation (PDEF) intensifie cette politique de recrutement des volontaires et prévoit d'enrôler 20.000 nouveaux maîtres sur la période 2000 – 2010. En 2011, les corps émergents représentent la grande majorité des enseignants : 64, 7% contre 34, 6% de fonctionnaires. Ainsi 50,1% des enseignants de l'élémentaire public au Sénégal sont sans qualification professionnelle. »[7]


A travers l'enquête menée, la revue révèle que les inspecteurs de l'éducation sont unanimes reconnaître que la plupart des enseignants n'ont pas le niveau académique et pédagogique requis pour obtenir leur certificat d'aptitude mais compte tenu du nombre important d'enseignants à examiner, des difficultés et des moyens immenses que nécessite la création d'une commission d'inspection et l'attente pendant des années des candidats, ils ferment les yeux et leur délivrent un diplôme qu'ils ne méritent pas. Commentant un rapport de la commission nationale de l'UNESCO, le journal précise :


« L'école sénégalaise va mal. Le rapport mondial suivi Education pour tous(EPT) 2013 – 2014 a livré des résultats plus qu'alarmants. Selon le rapport de l'UNESCO, l'école sénégalaise est classée au rang des plus bas taux de scolarisation primaire dans le monde, avec une baisse de 20% de son ratio élèves /enseignants avec moins d'enseignants formés selon les normes. Une autre étude de la coalition des organismes en synergie pour la défense de l'éducation publique (Cosydep), à travers son programme « Jangando », met en évidence le faible niveau des apprenants dans la région de Dakar, révélant que 78% des élèves ont échoué au test global médian. Celle- ci remet sur la table le faible niveau des élèves. L'enquête avait touché 1023 ménages, ce test incluait la lecture, les mathématiques et la culture générale. »[8]


Les résultats de l'enquête « Jangando 2014 » effectuée par le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (Lartes) de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) de l'Université Cheikh Anta DIOP indique la chute très remarquée du niveau des élèves de l'école élémentaire. En 2013, le taux de réussite en lecture sur l'ensemble des enfants de 6 à 14 ans testés tourne autour de 22% et de 22, 7% en 2014 selon le rapport. Ces contreperformances dans une langue de base, véhicule de tous les enseignements, apporte à souhait la preuve éloquente de l'échec du projet éducatif mis en place. Et le premier responsable indexé de cette faillite, demeure sans conteste la volonté politique commanditaire d'un mode de recrutement d'enseignants aux antipodes des règles concurrentielles de transparence. Dès lors, l'approche par compétence, en tant que stratégie d'apprentissage, certes pertinente, mais exigeante du point de vue de sa conception et de sa conduite, sera malmenée, tronquée et dévoyée de ses objectifs essentiels par des enseignants qui n'ont aucune maîtrise de la langue française et de sa grammaire.


La revue Nouvel Horizonrapporte :


« Un enseignant qui faisait un cours sur la concordance des temps a expliqué à ses élèves que la phrase « les élèves sont dans la cour, tandis que le maître soitdans la classe (sic), est juste car «  tandis que » et « après que » sont toujours suivi du subjonctif quelle que soit la situation. »[9]


Les exemples de cette nature peuvent être multipliés à souhait pour illustrer l'extrême indigence intellectuelle de cette catégorie d'enseignant, hélas, majoritaire dans le système. Il reste certain que dans la formation de base, si les éléments linguistiques fondamentaux ne sont pas correctement installés, l'apprenant aura du mal à combler ses carences et à maîtriser l'expression écrite et orale du français.


Avec le système zéro redoublement, appelé par dérision système « Goana », dans lequel le passage en classe supérieure est automatique quelle que soit la faiblesse de la moyenne, les pré requis ne sont pas mis en place pour autoriser, faciliter et permettre la compréhension et l'appropriation de nouvelles acquisitions. Le journal l'Observateur n°3555, dans sa livraison du 30 juillet 2015, rapporte que dans la circonscription de Kaffrine, plus d'une cinquantaine d'écoles a enregistré zéro (o) admis à l'examen du Certificat de Fin d' Etudes Elémentaires (C.F. E. E) pour la session de juin 2015. Ces résultats, reflet symbolique des contreperformances globales du système, ont mis l'Inspecteur d'académie de la localité dans tous ses états.


« D'ailleurs, face à ces fameux résultats, Maba Bâ, l'Inspecteur d'académie, n'a pu dissimuler sa colère et son mécontentement avant de prévenir les enseignants « médiocres » sur les sanctions qui sont prises à leur endroit. Dans près de cinquante écoles, aucun candidat à l'entrée en sixième n'a pu obtenir son premier diplôme académique (CFEE). Sans cesse, l'Inspecteur s'est posé à maintes reprises et devant l'assistance, des questions sur les causes réelles de cette grande « honte » des enseignants des classes d'examen. »[10]


C'est dans ces conditions de déficit criard de pré requis et de base linguistique faible que ces élèves sont admis dans nos collèges d'enseignement moyen. Ils comprendront difficilement le programme d'enseignement du français, très ambitieux, qui leur est soumis. Deux raisons essentielles vont présider au réaménagement technique des programmes de français de la 6èmeà la 3èmemis en œuvre en 1995 :


- l'apparition des Nouvelles Technologies de l'Information (NTIC) et du multimédia pédagogique qui, à terme, bouleverseront les méthodes d'enseignement/apprentissage ;


- l'arrivée massive – sans formation initiale – dans le système éducatif sénégalais de nouveaux professeurs au cours de la décennie 1995 – 2005.


Ainsi pour répondre à une demande pressante des institutions financières internationales d'élever le plus haut possible le niveau de scolarisation des apprenants, il a été procédé dans l'enseignement élémentaire à un recrutement massif de vacataires dans l'enseignement secondaire. Ces enseignants, injectés dans le système sans aucune formation pédagogique préalable, auront du mal à faire acquérir les trois compétences de base telles que stipulées ainsi dans l'exposé des motifs du nouveau programme (6è -3è) :


« 1 - des compétences linguistiques:


- renforcer la connaissance de la langue : règles de prononciation, de morphologie, de syntaxe ;

- maîtriser l'usage de la langue à l'oral et à l'écrit : types et formes du discours : règles de cohérence textuelle ;

- développer des capacités d'analyse de la langue et de son fonctionnement pour exercer l'esprit critique et manifester les capacités de transfert ;


« 2 - des compétences de communication 


- développer des aptitudes à communiquer avec clarté et précision, oralement et par écrit dans les situations variées ;

- entraîner à la lecture, à la compréhension et à la production de tous les types de textes ;

- initier au décodage de l'image ;

- développer la capacité à comprendre la communication des autres ;


« 3 - des compétences culturelles :


- Consolider l'apprentissage de la langue à travers l'étude des textes ;

- Contribuer à l'enracinement dans les valeurs africaines ;

-Aider à découvrir d'autres aires culturelles ;

-Former le jugement et construire la personnalité par la comparaison et le débat d'idées »[11]


Ensuite, dans le décret fixant les crédits horaires dans l'enseignement moyen, il a été affecté au français, pour les options à la fois classique et moderne, de la 6èmeà la 3ème 6 (six) heures hebdomadaires, le volume horaire le plus important de toutes les disciplines enseignées. C'est dire l'importance théorique que les autorités académiques semblent accorder à l'enseignement du français. Or, dans les faits, la plupart de ceux qui sont chargés de conduire ces enseignements, ne détiennent pas les aptitudes pédagogiques et intellectuelles requises pour exercer cette fonction. De fait, les programmes sont tronqués, malmenés, médiocrement « distillés » et dévoyés de leurs objectifs essentiels. Dès lors, les conséquences ne peuvent être que catastrophiques pour l'apprenant. Il suffit juste d'examiner cette copie scannée de composition française d'un élève de 3èmeà l'examen du Brevet de Fin d'études moyennes (BFEM) de la session 2015 pour mesurer l'ampleur du désastre.



Certes, l'appréciation de cette seule copie n'autorise pas à dégager hâtivement une tendance générale mais elle est suffisamment illustrative pour susciter une interrogation légitime : comment, traînant toutes ces carences, l'auteur d'une telle prestation a-t–il pu accéder en classe de troisième ?


Une fois admis au cycle secondaire, l'enseignement qu'il y recevra sera principalement axé sur la maîtrise des exercices littéraires (dissertation, résumé et commentaire) et sur l'étude de la stylistique, des thèmes illustrés par les différents genres (roman, poésie, théâtre) de la littérature française et africaine. La grammaire sera absente du programme car les concepteurs supposent que l'élève a acquis l'essentiel de ce qu'il faut savoir au cycle moyen. Une telle option est décriée aujourd'hui par tous les acteurs de l'école (parents d'élève, enseignants, élèves). Ils ne comprennent guère l'absence de la grammaire dans le programme du secondaire au moment tout le monde s'émeut de l'affaissement du niveau de français des apprenants à tous les paliers de notre système éducatif.


Le lycéen se désintéressera progressivement de cet enseignement dont il aura du mal à en comprendre le sens et l'utilité, surtout quand celui-ci le plonge dans le classicisme (le 17ème), les 18 et 19èmessiècles français, toutes réalités fort éloignées de son univers socioculturel. L'avènement des technologies de l'information et de la communication aidant, il se démarquera davantage du livre qu'il assimile à un outil scolaire, donc un objet de contrainte car illustrant des thèmes qu'on lui impose d'apprendre. Le professeur de français de la seconde à la terminale, s'ingéniera, en vain, à tenter de faire comprendre des théories et courants littéraires d'un autre temps. Il passera de bonnes heures à prêcher dans le désert. Au cours des séances laborieuses d'études de texte, il posera des questions et y répondra désespérément lui-même, faute de réaction appropriée et pertinente. Les exposés sur les œuvres aux programmes qu'il confie aux groupes constitués pour initier ses élèves à la recherche, leur donnent juste l'occasion d'aller vers internet et de «  piquer » in extenso le premier document qu'ils y trouvent sans discernement ni esprit critique. A cela, s'ajoutent les effectifs pléthoriques qui rendent tout encadrement rapproché impossible. Lors de la journée mondiale du livre célébrée le 23 avril 2015, les responsables des bibliothèques de certains établissements secondaires du Sénégal, notamment les lycées Lamine Guèye de Dakar, Ibou Sané de Sédhiou, Khar Ndoffène Diouf de Fatick, Ababacar Sy de Tivaoune, Mame Cheikh Mbaye de Louga, à travers la relation des correspondants de la radio Sud FM, sont presque unanimes à s'indigner du taux extrêmement faible de fréquentation de leurs locaux ; lequel avoisinerait moins de 5%. L'un d'entre eux avoue :


« Les élèves désertent de plus en plus les bibliothèques et ne lisent même plus les œuvres au programme. Au début de l'année, seuls quelques élèves de sixième venaient dans la bibliothèque mais finirent au bout du compte par ne plus venir. Ils sont plutôt présents dans les salles informatiques. »[12]


Si par l'écran de l'outil informatique, nos élèves s'adonnent à la lecture, la situation serait moins alarmante ; hélas, ils ne s'en servent que pour « facebook » et pour diverses autres distractions.


Tout compte fait, l'essentiel des enseignements étant délivré dans la langue de Molière, les carences dans la langue française des élèves du secondaire aura des incidences négatives sur la compréhension et la maîtrise des autres disciplines. A ces différents phénomènes qui plombent l'efficacité de notre système éducatif, vient se greffer la démotivation du personnel enseignant. La plupart d'entre eux, arrivent dans le métier non pas par vocation mais uniquement par contrainte économique. Ceux- là ne peuvent accepter les disparités salariales criardes notées dans le mode de rémunération de la fonction publique. En effet, depuis l'avènement du président Abdoulaye Wade à la magistrature suprême en 2002, des corps de métiers moins gradés que les enseignants bénéficient d'un traitement salarial de faveur ou d'un régime indemnitaire « hors norme » qui a désarticulé complètement le système. Or, en matière d'équité, la règle voudrait qu'à «  diplôme égal, salaire égal ». Cette frustration génère des grèves cycliques dont la récurrence porte un réel préjudice au respect du quantum horaire de neuf cents (900) heures annuelles. Voilà bientôt une décennie, c'est à peine s'il atteint les six cents (600) heures de cours dans les établissements moyens secondaires publics du Sénégal. Les déficits et les défaillances demeurent si profonds que tous les projets mis en chantier passent à côté des objectifs assignés. Le Programme pour l'Amélioration de la Qualité, de l'Equité et de Transparence – Education Formation 2013 - 2025 (PAQUET –ET) qui entend corriger les lacunes du Programme de Développement de l'Education et de la Formation (PDEF) et définir de nouvelles orientations, voit d'entrée de jeu ses principes de base bafoués. Le socle de valeurs sur lequel devrait reposer sa pratique à savoir la promotion de la transparence, la gestion efficace et efficiente des ressources, la systématisation de la reddition des comptes, la décentralisation et la déconcentration avec des pouvoirs accrus aux collectivités locales et aux administrations déconcentrées dans la gestion de l'éducation, se trouve en souffrance dans nos institutions scolaires publiques.


Au bilan, les résultats catastrophiques aux différents examens du moyen secondaire de la session 2015, donnent une preuve éloquente de l'échec patent des stratégies mises en place et de la décadence de l'enseignement. Ces diverses évaluations ont enregistré un taux de réussite de moins de 35%. Ce qui constitue une nette régression comparativement aux années antérieures.


2.3 - L'environnement socio-professionnel

Le Sénégal vit certes un multilinguisme séculaire mais la langue wolof y détient une hégémonie telle qu'elle étouffe et « tue » progressivement toutes les autres formes d'expression qui l'environnement. Aujourd'hui, en plus de la cellule familiale, des places publiques et autres lieux de rencontre civils et urbains qui étaient son espace naturel de communication, le wolof gagne du terrain et fait sauter les verrous des cadres qui lui étaient jusque – là fermés : l'école et les structures administratives, professionnelles publiques et privées. Dans nos établissements d'enseignement, l'usage du français se rétrécit comme peau de chagrin et se limite presque exclusivement à l'enceinte de la salle de classe et dans le seul rapport didactique entre professeur et élèves. Entre eux, les élèves s'expriment en wolof en classe et dans la cour de l'école. Même le corps professoral, hormis lors des instances officielles, communique dans les langues nationales. Cette tendance s'étend et gagne aujourd'hui largement le secteur administratif et professionnel. Aïssatou, cadre dans une grande compagnie d'assurance,  témoigne :


« Mon patron impose l'usage du Wolof dans toutes les conversations. Même si cette langue n'est pas vraiment adaptée aux discours techniques. C'est pourquoi à Dakar, beaucoup d'africains francophones sont très souvent désarçonnés par cette omniprésence de la langue Wolof. » [13]


Paradoxalement, le Sénégal est l'un des premiers pays africains à accueillir la colonisation et à connaître l'implantation massive de l'école française. Or, dans les autres pays africains de la sous région tels la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Mali, Le Burkina Faso, la Guinée, etc., le premier médium de communication, même au sein des couches sociales les moins lettrées, demeure la langue française. Il serait indiqué de préciser, cependant, que cette dernière existe sous une forme « pidginisée » ou « créolisée » car subissant du coup toutes les intrusions syntaxiques, lexicales et phonétiques des langues locales. Le planteur ivoirien du pays profond autant que l'artisan burkinabé des campagnes baragouinent ce parler et arrivent par ce truchement à se faire comprendre de leurs concitoyens. Un ivoirien, foulant pour la première fois le sol de la capitale sénégalaise s'étonne de ne pas trouver le même phénomène à Dakar :


« J'ai demandé à des sénégalais de m'indiquer le chemin. Ils m'ont répondu qu'il fallait s'exprimer en wolof, alors que même je leur avais expliqué que je ne parle pas cette langue. J'ai dû abandonner cette conversation avant qu'elle ne tourne au pugilat. »[14]


Dans le même registre, Alphonse, un enseignant d'origine béninoise renchérit :


« Nombre d'ivoiriens, de béninois et autres expatriés se sentent de moins en moins à l'aise à Dakar à cause de l'omniprésence de cette langue uniquement en usage au Sénégal. D'ailleurs même des sénégalais s'agacent du poids croissant de cette langue. »[15]


Au demeurant, cette tyrannie du Wolof trouve son explication dans le fait que le Sénégal connaît un multilinguisme restreint dans lequel cohabitent tout juste quatre grandes langues locales principales : le wolof, le pulaar, le sérère et le diola ; d'autres groupes linguistiques existent mais sont très minoritaires. Le Professeur Moussa DAFF, linguiste à l'Université Cheikh de Dakar précise :


« Toutes ces langues n'ont pas le même dynamisme sur l'étendue du territoire national. Certaines sont d'un usage majoritaire, soit dans une localité, soit dans une région. Seule la langue wolof couvre au moins 80% du territoire national comme première ou deuxième langue de communication. »[16]


Alors qu'ailleurs, en Afrique noire, le français constitue la seule langue de liaison entre une trentaine de communautés ethniques d'égale importance, qui se disputent aussi bien l'espace urbain que rural. Dès lors, pour communiquer, toutes les catégories sociales lettrées ou illettrées font recours forcément au français. Au Sénégal, le wolof, restant la langue des grandes cités urbaines qui croissent de manière exponentielle au détriment des campagnes en décrépitude, étend son empire dans toutes les sphères de la vie sociale. Les cellules familiales négro-africaines, à l'exception de rares couples de la grande bourgeoisie citadine vivant à l'européenne, n'initient leurs enfants au français. Faudrait-il s'en réjouir ou s'en désoler compte tenu de l'entêtement des autorités étatiques à persister dans leur refus de faire de nos langues nationales le véhicule des apprentissages scolaires ? Alors que pour certaines d'entre elles, tout le cadrage normatif sémantique, syntaxique, grammatical et académique est prêt, elles ne voudront jamais leur laisser dépasser l'étape de l'expérimentation fonctionnelle. Bref, dans cette modeste étude, notre réflexion n'est pas orientée vers cette question d'importance majeure. Notre propos consiste juste à faire remarquer que l'environnement socioprofessionnel et culturel sénégalais dans lequel évoluent nos élèves, ne leur offre pas un bain linguistique suffisant de nature à leur faire maîtriser l'expression orale et écrite du français. Or, une langue s'acquiert dans le feu d'une pratique courante et quotidienne.


3 - Des propositions de remédiation

Devant l'ampleur des insuffisances indiquées, il apparaît plus qu'urgent de trouver des palliatifs en attendant d'enclencher des réformes en profondeur qui iraient vers la refonte de tout le système éducatif Sénégal. Car pour résoudre le mal, il faudrait aller à la racine. L'usage du français dans tous les secteurs de notre vie nationale et internationale rend l'amélioration de sa didactique pressante. Des propositions de remédiation à l'intérieur et à l'extérieur de l'espace scolaire se résument en quelques procédés méthodologiques, techniques pédagogiques et autres recettes et recommandations dont l'application n'engage point de moyens considérables.


3.1 - Remédiation intra muros

La première mesure devra consister à réactualiser le programme de français de la sixième à la terminale dans le moyen secondaire. Il s'agira d'y extirper toute la thématique anachronique car cet archaïsme a beaucoup contribué au désintérêt de notre jeunesse pour le français. Imad GHOUMMID, se rendant compte des mêmes phénomènes dans l'enseignement marocain, fait remarquer que :


« Les élèves ont du mal parfois à composer une phrase ou à formuler une question. Et pourtant, ils se voient appeler à lire et à comprendre un passage de Molière ou de Balzac. Je ne suis pas contre l'enseignement de la littérature au collège mais je défends l'idée selon laquelle tout programme de langue doit être adapté aux besoins langagiers des élèves et à leur environnement. Il vaudrait mieux apprendre aux élèves à réaliser des tâches langagières qu'ils peuvent reproduire dans leur vie quotidienne et au collège et ceci à l'aide de supports attrayants et accessibles. »[17]


Cette littérature d'une autre époque devra être simplement réservée aux étudiants en lettres ou à tous ceux – là qui voudront se spécialiser dans les études littéraires. Ce réaménagement aurait l'immense avantage d'alléger les curricula et de réorienter les sujets vers des préoccupations actuelles et contemporaines qui emportent l'adhésion et l'intérêt des élèves. Les manuels pédagogiques devront être réadaptés et réactualisés à cette fin. Ensuite, il se pose comme un impératif de recycler et de renforcer les aptitudes du personnel enseignant déqualifié, massivement présent, dans le palier élémentaire. Il demeure évident que si la base de la formation est ratée, le rattrapage et la remise à niveau s'avèreront difficiles.


Ayant exercé pendant plus d'une vingtaine d'années dans le moyen et secondaire comme professeur de lettres modernes avant d'être recruté, à la soutenance de notre thèse, à l'université, nous y avons capitalisé une certaine expérience qui nous a permis d'identifier des recettes pédagogiques à associer à l'enseignement officiel et habituel du syllabus et propres à susciter l'intérêt des élèves pour le français. L'enseignement de toute langue trouve son soubassement dans la lecture. La pauvreté de nos bibliothèques qui ne contiennent même pas parfois les œuvres au programme, offre le prétexte commode aux élèves de ne pas lire. Pour cette raison, l'instauration d'une bibliothèque de classe montée à partir de la contribution collective où la règle « chaque élève amène au minimum un livre », constitue une excellente initiative, incitatrice à la lecture. Un registre de la bibliothèque est ouvert et sa gestion est confiée rotativement aux différentes équipes de classe constituées. Chaque élève consulte la liste des livres dressée et affichée dans la classe et emprunte « obligatoirement » un livre pour un temps qui ne doit pas excéder une semaine. Avant le démarrage de chaque cours de français, dix (10) minutes sont consacrées aux séances de partage. A tour de rôle, un élève désigné vient exposer pendant cinq minutes les centres d'intérêt thématiques et stylistiques d'un des livres lus ; autrement dit, il s'agira de dire ce qu'il l'a plu ou intéressé dans sa lecture et ce qu'il aimerait discuter. Cinq autres minutes devront permettre à l'exposant du jour de répondre à quelques questions que lui poseront ses camarades et au final, l'enseignant félicitera l'intervenant  et tirera une synthèse concise. Si le temps est rigoureusement surveillé pour éviter les débordements, cet exercice incite progressivement à la lecture et donne le goût et le plaisir de lire. La création de journaux ou de revues de classe ou d'établissement gérés entièrement par les élèves et encadrés par le corps professoral, avec divers dossiers thématiques, confère la possibilité de s'exercer à la relation de presse, et par ce truchement, à la rédaction française.


En outre, à l'intérieur de la classe, il peut être institué des ateliers de théâtres. Chaque rangée ou chaque groupe – classe prend en charge la représentation d'une ou des scènes d'une pièce de théâtre du programme (c'est l'idéal) ou en dehors du programme. L'enseignant supervise les répétitions, organise des joutes et installe un climat de saine émulation. Par le biais de l'expression dramatique, l'élève manipule la langue, se familiarise avec son lexique, sa diction et ses règles phonétiques. Elsir Elamin Hamid Mohamed fait remarquer que :


« Le savoir théâtral n'est plus un savoir qui se transmet de manière passive de l'enseignant à l'apprenant supposé se l'approprier. C'est un savoir expressif, vivant, mouvant, parlant, évolutif avec lequel l'apprenant en langues et son enseignant entretiennent des relations particulières : chacun abandonne son rôle social et institutionnel respectif dans le seul but de travailler la langue par un texte de théâtre. Ces nouvelles relations s'inscrivent au cœur des mécanismes d'apprentissage d'une langue étrangère. L'apprentissage du français par l'approche théâtrale associe les phénomènes de l'enseignement : les conditions de transmission du savoir, son acquisition par l'apprenant et de ce fait, la pratique théâtrale rencontre les principes de la didactique du français. »[18]


Notre expérience d'encadreur et d'animateur des ateliers de théâtre du lycée Valdiodio Ndiaye de Kaolack et du lycée Malick de Thiès, pendant plus d'une vingtaine d'années, permettent de confirmer le propos d'Elsir Mohamed. Les élèves fréquentant assidûment ces cadres devenaient plus performants en français que les autres et avaient de meilleurs résultats au baccalauréat en série littéraire. Même ceux d'entre eux qui faisaient les séries scientifiques (S1, S2, E, G, B, F), étaient plus performants car, en dehors des bonnes notes qu'ils récoltaient dans les matières littéraires, ils comprenaient mieux leurs matières dominantes (mathématiques, sciences physiques, sciences de la vie et de la terre, mécanique, économie, comptabilité, informatique, etc.) L'analyse des textes dramatiques, l'étude des personnages, la scénarisation des séquences, les techniques d'élocution, d'exercice phonétique et vocal, la mémorisation de longues tirades auxquelles nous soumettions les jeunes « comédiens en herbe » avant le jeu, présentaient l'avantage de faire acquérir à ces derniers de réelles compétences langagières, autant orales qu'écrites. Pour promouvoir l'art dramatique dans les établissements, l'Institut Français en collaboration avec la Direction de l'Enseignement Moyen Secondaire Général (DEMSG) du Ministère de l'Education Nationale du Sénégal, organise chaque année un concours théâtral interscolaire qui donne l'occasion de compétitions âprement disputées. Les professeurs de français peuvent saisir cette opportunité pour mobiliser leurs ateliers-théâtre autour de cet évènement lors des épreuves de présélection, de sélection et des phases finales. Les ateliers de théâtre que nous encadrions, ont été très souvent lauréats des différents « griots » mis en compétition lors de cette chaleureuse fête de l'art dramatique et de la langue française.


L'association des professeurs de français du Sénégal (L'ASPF) initie depuis trois ans le Trophée « Kocc Barma » de l'Excellence en langue française. Le projet s'appuie sur une pédagogie centrée sur la responsabilisation, l'autonomie et l'autoévaluation pour susciter chez les jeunes l'amour de la langue française et de la poésie. Il est établi sous forme de championnat entre des équipes émanant des différentes écoles du moyen secondaire. Les équipes qui auront réalisé les meilleures performances dans la maîtrise de la langue, des connaissances littéraires et de l'expression orale l'emporteront. A cela, s'ajoutent les concours de génie en herbe institués par certaines inspections d'académies. Nous estimons que leur organisation devra être systématisée et mieux encadrée par les enseignants de français.


Il reste certain qu'il est très difficile de développer de telles pratiques pédagogiques dans le temps d'apprentissage en classe. Il ne suffira pas pour installer les compétences visées. Tous ces artifices didactiques constituent des stratégies complémentaires au programme officiel, qui remobilisent les apprenants autour de l'apprentissage du français. Ils requièrent un engagement patriotique, un esprit de sacrifice et une motivation supplémentaires de la part de l'enseignant. Car, si ce dernier reste dans les strictes limites de son temps de travail, il serait dans l'impossibilité de réaliser puis de diriger ces activités qui ont largement donné la preuve de leur efficacité comme pédagogie de renforcement de capacité.


3.2 - Remédiation extra muros

En dehors de l'école et des salles de classe, la famille, la communauté, les autorités municipales et gouvernementales doivent mettre en œuvre des stratégies de consolidation d'aptitude en français compte tenu de la place encore prépondérante de ce médium dans notre vie publique, officielle, académique, administrative et sociale.


La cellule familiale doit susciter l'envie et le goût de la lecture dès l'inscription de l'enfant à l'école maternelle. Tout un éventail de la littérature enfantine aussi multiple que varié allant des bandes dessinées livresques ou filmiques aux récits, contes et divers jeux de mots, existe à profusion et reste à la portée des parents. Ces aventures et fables peupleront et enrichiront l'imaginaire de l'enfant qui, épousant très tôt, l'habitude de ce contact permanent avec ces objets, s'en passerait difficilement plus tard. Le petit écran est profitable à condition de procéder au choix préalable de programmes mesurés, divertissants ou culturellement bénéfiques. A l'inverse, pour peu que la famille démissionne de sa mission d'encadrement et laisse l'enfant devant la télévision à longueur de journée, les conséquences peuvent être désastreuses. Son esprit ne sera plus exercé à se concentrer, à lire, à décortiquer et à comprendre la syntaxe française. Ce manque de propension vers le texte, vers l'écrit risque de le poursuivre tout au long de ses études. Dès lors, la famille doit être la première instance de veille et d'orientation progressive des activités de l'enfant vers des préoccupations pédagogiquement rentables.


Les budgets de nos conseils municipaux contiennent des rubriques qui ont vocation de soutenir l'éducation et la culture. Hélas, ces affectations de crédit se trouvent souvent détournées de leurs objectifs initiaux par des maires enclins à la parade à travers des manifestations onéreuses et autres cérémonies factices d'exhibitionnisme et de « tape à l'œil » dont le seul but demeure la propagande politique. Alors que ces fonds doivent être utilisés à bon escient et servir au mieux la consolidation des acquis pédagogiques et culturels. En dehors des infrastructures et matériels didactiques à renforcer, des compétitions de génie en herbes, d'orthographe, de rédaction, de déclamation et d'écriture poétiques, de représentation théâtrale, constituent des activités saines, à faible coût, de nature à promouvoir l'apprentissage de la langue française. La création de bibliothèques municipales, de salles multimédia de proximité, offre l'avantage de susciter, très tôt, le goût de la lecture et la curiosité intellectuelle chez les jeunes. Les associations sportives et culturelles de quartier, pendant les vacances, privilégient le sport au détriment d'autres disciplines pourtant bien inscrites dans leur programme. Elles gagneraient beaucoup à allier « l'utile à l'agréable » en initiant des joutes culturelles et artistiques en vue d'améliorer le niveau intellectuel de la population juvénile. Les autorités étatiques ont la charge d'impulser les jeux de l'esprit, et autres activités ludiques, artifices subtils pour l'apprentissage des langues, en les élevant à la dignité du football, pendant les grandes vacances dites « navétanes ». En tout état de cause, par le truchement d'initiatives hardies, les structures socioculturelles peuvent développer des instances propices à des productions linguistiques écrites et orales à même de favoriser l'apprentissage du français dans une atmosphère de détente et de saine émulation.


Conclusion

A travers cette modeste réflexion qui dresse un bilan rapide des problèmes de la didactique du français au Sénégal et la baisse accablante du niveau de français des bacheliers  sénégalais qui en résulte, nous voulions juste partager le constat unanimement établi de tous les acteurs de l'école et de la société afin de procéder à l'esquisse de quelques remèdes et pistes de rectification. La mise en œuvre de toutes ces propositions de remédiation à l'intérieur et à l'extérieur de nos institutions scolaires, nécessite l'engagement et la coopération de toute la communauté qui doit comprendre et apprécier à sa juste valeur l'intérêt et la portée de la langue française dans notre système administratif et éducatif. L'histoire coloniale nous l'a léguée. Et au rythme pachydermique où s'effectue la revalorisation des langues locales, il faudrait attendre encore longtemps pour voir, celles-ci, être élevées au statut de langues d'enseignement. Pourcette raison, le français restera longtemps au centre de notre dispositif éducationnel. Dès lors que nos gouvernants semblent encore réfractaires à faire de nos langues nationales, les véhicules officiels du savoir scientifique au sein de notre système éducatif et administratif et que les peuples ne sentent pas encore la nécessité de se mobiliser pour cette fin, nous ne devons pas assister impuissants à l'affaissement du niveau de français de ceux qui frappent à la porte de nos universités et qui auront demain entre leurs mains, les destinées de nos nations. La médiocrité du niveau de français de nos étudiants ne les prédispose pas à maîtriser leur domaine de spécialité. Cette position inconfortable dans leur technolecte d'études économiques, juridiques, scientifiques, informatiques, sociales et littéraires,  demeure très souvent le premier facteur de leur contreperformance avant que le contenu des disciplines respectives n'achève de les placer devant de sérieuses difficultés dans le processus d'appropriation du savoir et du savoir-faire de leur matière de formation.




 DIONE, Gadiaga Diop . « Grèves récurrentes, résultats médiocres, politique éducative inefficace » in Nouvel Horizon, N°954, du 23 au 29 avril 2015.

 GHOUMMID, Imad. “L’enseignement du français à l’université marocaine. Le cas de la filière « Economie et gestion », Thèse de Doctorat national en sciences du langage. », Université Ibn Tofail Maroc, Université Rennes 2 France, 2012.

 GUEYE, Mariama . « Résultats du Certificat de fin d’Etudes Elémentaires » in L’Observateur,  N° 3555, du jeudi 30 juillet 2015.

 GUEYE, Mbaye Anna. « Entretien avec Mbaye Guèye Anna » in Expressions Littéraires, journal bimensuel d’informations littéraires, artistiques et intellectuelles, mardi 10 au mercredi 25 février 2015, n°23.

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 SENGHOR, Léopold Sédar. « Négritude et civilisation de l’universel » in Liberté 3, France, Le Seuil, 254 p

 Un bibliothécaire. « Relation des correspondants de la « radio   SUD FM », Sénégal », à l’occasion de la journée mondiale du livre, célébrée le 23 avril 2015. 


Webographie


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 DAFF, Moussa. « L’aménagement linguistique et didactique de la coexistence du français et des langues nationales » in Divers cité, en ligne, volume 3, disponible à http : www.uquebec.ca//diverscité

 DIALLO, Amadou. « Le Sénégal doit –il rester francophone face au règne du Wolof ? » in Diallobeducation, http://www.diallobeducation.com/

 Document Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). « La situation du français au Sénégal », www.fracparler-oif.org/.../2658 - htlm

 Document Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). « La situation du français au Sénégal », www.fracparler-oif.org/.../2658




 [1] GUEYE, Mbaye Anna. « Entretien avec Mbaye Guèye Anna » in Expressions Littéraires, journal bimensuel d’informations littéraires, artistiques et intellectuelles, mardi 10 au mercredi 25 février 2015, n°23, p.9.

 [2] DIALLO, Amadou. « Le Sénégal doit –il rester francophone face au règne du Wolof ? » in Diallobeducation, http://www.diallobeducation.com/

 [3] SENGHOR, Léopold Sédar. « Négritude et civilisation de l’universel » in Liberté 3, France, Le Seuil, p.147.

 [4] Pour Parler Français – Méthode Langage à l’usage des classes d’initiation du Sénégal – 3 livres du Maître. France, Paris, ISTRA – 1967. 1968. In -4, Carré. Broché. 269p.

 [5] Commission de l’UNESCO. « Rapport sur l’approche par compétences en Afrique Noire : quelques tendances. », UNESCO, Lien : unesco.org/images/0015/001595/159545.f.pdf

 [6] Commission de l’UNESCO. Op.cit.

 [7] DIONE, Gadiaga Diop. « Grèves récurrentes, résultats médiocres, politique éducative inefficace » in revue Nouvel Horizon, N°954, du 23 au 29 avril 2015, p.10.

 [8] DIONE, Gadiaga Diop . « Grèves récurrentes, résultats médiocres, politique éducative inefficace » in revue Nouvel Horizon, op.cit. p.9.

 [9] Ibidem, p.9.

 [10] GUEYE, Mariama. « Résultats du Certificat de fin d’Etudes Elémentaires » in L’Observateur,  N° 3555, du jeudi 30 juillet 2015, p. 4.

 [11] COMMISSION NATIONALE DE FRANÇAIS. «  Les programmes de français au cycle moyen (6è - 3è) ». Ministère de l’Education Nationale, République du Sénégal, http//igen.education. sn /programmes/fran_ens.moy.pdf

 [12] Interview d’un bibliothécaire in « Relation des correspondants de la radio «  SUD FM », Sénégal », à l’occasion de la journée mondiale du livre, célébrée le 23 avril 2015. 

 [13] Document Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). « La situation du français au Sénégal » www.francparler-oif.org/.../2658 /pour-lenseignant/les - articles/2658-la-situation-du-français-au senegal.

 [14] Document Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). « La situation du français au Sénégal » www.fracparler-oif.org/.../2658

 [15]ibidem

 [16]DAFF, Moussa. « L’aménagement linguistique et didactique de la coexistence du français et des langues nationales » in Divers cité, en ligne, volume 3, disponible à http : www.uquebec.ca//diverscité

 [17] GHOUMMID, Imad. “L’enseignement du français à l’université marocaine. Le cas de la filière « Economie et gestion », Thèse de Doctorat national en sciences du langage. », Université Ibn Tofail Maroc, Université Rennes 2 France, 2012, p. 338.

 [18] MOHAMED, Elsir Elamin Hamid. « Théâtre et enseignement du français langue étrangère » in Synergies Algérie n°2, 2008, pp. 177-184.



Pour citer cet article:

Ibrahima Ba, « La didactique du français et les profils des postulants des universités au Sénégal », DIDACTIQUES « littérature et enseignement/apprentissage de la langue : des relations au gré des évolutions historiques et des représentations méthodologiques » N°9 Janvier-Juin 2016, [ http://www.univ-medea.dz/ldlt/enligne.html ], pp.279-317




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